Téléphone en main je compose le numéro de mon frère rapidement. Je n'ai rien fait du week end pour une fois, il faut que je sorte. J'ai cette sensation de jambes lourdes, des fourmillements dedans, ça ne me plait pas. Je savais que j'aurais dû aller courir ou me défouler pour ne pas que cela se produise, mais le repos était quand même le seul mot que j'avais en tête. Depuis début septembre j'ai repris une vie tout ce qu'il y a de plus normale et avec l'accident et les quelques séquelles que je peux avoir encore maintenant notamment au niveau des parties de mon corps qui ont été touchés par l'accident ou qui n'ont pas forcément apprécié mes trois quatre mois de coma derrière, je ressens une vraie fatigue. Mais voilà, c'est le chat qui se mort la queue, quand je me repose, je prends après des douleurs, imaginaires surement, surement la peur de me retrouver paralysée à nouveau, de ne plus pouvoir être maitresse de moi-même, je n'en sais rien. Du coup j'espère que mon frère va décrocher son téléphone parce que je viens de claquer la porte de mon appartement derrière moi, bien décidée à aller faire un tour au marché de noël et de partager ce tour avec lui. J'appelle, une fois, deux fois, trois fois. Et là il répond. Je dois surement lui faire peur d'insister autant. « Et bien c'est pas trop tôt ! Trois fois pour réussir à te joindre ! T'es où ? Tu viens avec moi au marché de noël ? Enfin tu me rejoins là bas dans genre quinze minutes plutôt je suis déjà en route ! » Mon frère adoré, je suis tellement heureuse de l'avoir retrouvé même s'il a fallu l'accident pour qu'on se rapproche, qu'il se recentre sur la famille plutôt que son envie de voyager et profiter de chaque miette de vie qu'il peut avoir

La musique à fond dans le garage, j’étais sous une belle Mercedes classe A en train de réparer une fuite d’huile. Ce ne fut qu’à la deuxième sonnerie que j’entendis mon portable, et le temps de me redresser, d’essuyer mes mains, j’avais manqué ce deuxième appel. En voyant le nom de ma sœur s’afficher dans les appels manqués, j’eus aussitôt un élan d’appréhension. Depuis l’accident, j’assimilais les appels de ma famille à de mauvaise nouvelle, c’était plus fort que moi. J’allais rappeler mais ce fut à ce moment que la sonnerie retentit une troisième fois. Si elle insistait, c’était que c’était grave, surement… Je retins mon souffle en décrochant mais à sa voix et son ton, je fus aussitôt rassuré. « Tu m’a fait peur avec tous tes coups de fil là… » ronchonnai-je alors qu’elle, de son côté, me reprocher le temps mis pour répondre. « J’étais en train de bosser pour un client privé, je suis au garage, j’avais pas entendu mon téléphone. » me défendis-je. La question suivante à savoir si je voulais bien aller au marché de noël avec elle n’en était pas vraiment une en fait. Je poussai un petit soupir, jetai un coup d’œil à l’automobile en cours de réparation. Elle serait toujours là demain, toujours là après demain, et au final j’avais nettement plus envie de passer du temps avec ma sœur. Je finis donc  par répondre: « Dans vingts minutes alors. » Pour le plaisir de la contredire. « Faut que je me douche fissa et que je me change… » Autant je m’en fichais d’être les mains dans le cambouis ici, autant pour sortir, je voulais être un minimum présentable. « Faut que je me fasse beau pour ma petite sœur. C’est à Brooklyn c’est ça ? Et je te préviens, je veux que tu me paies un vin chaud... » Faire semblant de négocier ma venue, comme si ça ne tenait qu'à un verre de boisson épicée, alors que c'était sûr que j'allais m'y rendre avec elle de toute façon. Y'avait pas grand chose que je pouvais lui refuser...

« Si tu gardais ton téléphone près de toi, tu n'aurais pas eu peur, tu t'es fait peur tout seul Natou ! » Il avait pensé exactement comme je l'avais prédit et sa réaction était celle que j'avais vu venir. Il avait peur de tout depuis que j'avais failli mourir dans cet accident de voiture et c'était aussi surement cela qui le retenait en ville. Je n'étais pas bête, autrement, il serait surement reparti en vadrouille sur toutes les routes du pays, du continent et même du monde, chez Carlton on est fou, une frontière ne nous fait pas peur. Je m'en voulais d'ailleurs un peu de lui avoir causé cette frayeur et qu'il calque sa vie sur la mienne maintenant, ou du moins qu'il fasse beaucoup de chose en fonction de moi. « Et arrête de penser qu'il y a un risque je meure à chaque coin de rue ou à chaque fois que je prends une inspiration ! » Je rigole, ça se sent surement dans ma voix mais je lui dis et répète quand même parce que ça n'a pas l'air de bien rentrer dans sa petite tête blonde. « Vingt minutes si tu veux, tu ne t'étonneras pas de ma mauvaise humeur puisque je vais t'attendre. » Je suis impatiente, il le sait alors c'est jouer avec le feu que de me demander ça, mais c'est mon frère alors il sait aussi que mon côté grognon passera en quelques secondes après quelques mots et un geste de tendresse de sa part. « Je ne t'organise pas un rencard et je n'ai pas envie que toutes les filles t'accaparent dès que j'aurais l'œil tourné alors ne te fais pas trop beau ! C'est à Brooklyn oui dépêche toi ou j'aurais bu tout le vin. » Je raccroche, file dans le métro en direction du fameux marché de noël. Quand j'arrive il n'est pas là bien sûr, il m'avait prévenu, alors je l'attends.

T’auras pas le dernier mot petite sœur. « Je veux pas le salir quand je bosse… » Ha ces avocats, c’était sûr qu’eux, à part une fuite de leur stylo plume, ils risquaient pas de se salir les mains. Enfin, mon inquiétude avait du bien transparaitre dans mes bougonnements puisque ma cadette trouva utile de me rassurer, avec une note d’humour. Optant pour le même ton, je rétorquai à mon tour : « Tu sais que si on est tatillon, prendre une inspiration d’air new yorkais te fera surement mourir à la longue, les hydrocarbures, la pollution tout ça, ça doit pas faire de bien à tes poumons… » Ma façon à moi de lui dire qu’elle ne pouvait pas escompter que j’arrête de m’inquiéter. J’étais son grand frère quoi. Elle me promit d’être de mauvaise humeur alors que j’allongeais la durée que j’allais mettre pour la rejoindre. « Faut savoir se faire désirer… Et tu sais que plus tu me retiens au téléphone et plus je serais à la bourre… » Fallait quand même que je me prépare un tant soit peu. J’allais lui répondre mais finalement, elle se dépêcha de raccrocher… Et après sa dernière remarque, je me serais bien lancé dans un nouveau sermon sur l’alcool. Je me rappelais bien les circonstances de son accident… Et comme à chaque fois que j’y pensais, je me dis avec horreur que si ça avait été elle la conductrice, peut être qu’elle ne serait plus de ce monde pour m’inviter au marché de noël… Raison de plus pour profiter d’elle et de m’activer pour ma rejoindre. Je filai dans les vestiaires, lâchai mon bleu de travail, mes fringues sales, une douche et je ressortis tout propre. Je m’habillai en jetant un œil à ma montre, avant de relever les yeux vers un miroir pour vérifier que j’étais présentable. J’enfilai ma veste et quittai l’endroit. Marchant d’un pas rapide vers la première rame de métro que je croisais, direction Brooklyn et ce fut après vingt bonnes minutes que j’arrivais sur les fameux lieux du marché de Noël. Je cherchais des yeux Jill, parmi la foule et je finis par la repérer près du stand à vin chaud. J’arrivai par derrière et lui soufflai à l’oreille : « Je vois que t’as tout bu, c’est que j’ai pas du être si lent que ça. »

S'il était en face de moi, il me verrait lever les yeux au ciel, manie que j'ai régulièrement, pour ne pas dire tout le temps quand on m'exaspère ou dans des cas comme celui là, pour dire qu'il chipote pour un rien. Pour le coup il vaudrait mieux que je l'exprime à haute voie, mais non, ça ne sert à rien, têtus que nous sommes on pourrait continuer d'enchérir longtemps comme ça pour savoir qui de nous deux aurait le dernier mot. « File et dépêche toi alors ! » Et je raccroche sans qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit. Il ne m'en voudra pas pour ça et puis il sait que s'il me fait trop attendre, c'est moi qui lui en voudrait. Depuis quand on fait attendre une femme Monsieur Carlton ? Pourtant c'est bien ce qu'il fait. Je suis là depuis cinq grosses minutes, presque dix petites, quand il arrive et me souffle dans l'oreille qu'il n'a pas dû être trop long puisqu'il reste du vin chaud. Je me retourne et reste plantée là comme ça devant lui : « Je me suis retenue, ça fait au moins dix minutes que je suis là. » Je ne suis pas française alors je ne peux pas dire que je suis un peu de Marseille pour dire que j'en rajoute, mais le cœur y est et c'est bien dans ce sens que je vais. J'en rajoute, parce que tant qu'il ne m'aura pas serré contre lui et déposé un baiser sur le front comme il le fait tout le temps, je ferai la tête. « Mais je vais me noyer dans le chaudron si tu ne m'adresses pas le moindre signe de tendresse dans les trois secondes qui arrivent. » Je relève la tête puis sans le laisser dire quoi que ce soit, je viens à me coller contre son torse en passant mes bras autour de lui. C'est dur de vivre sans lui, de ne pas habiter avec lui, de ne pas le voir tous les jours. Je ne sais pas s'il ressent ça, mais pour moi c'est vraiment pas simple. « Mon super appartement dans l'upper east side ne te tente toujours pas pour venir t'installer dans la chambre vide ? Ca m'éviterait de te déranger dans ton boulot pour m'incruster dans ton planning de ministre et comme ni toi ni moi sommes en couple... »

Forcément, Jilly était bougon. De toute manière, à partir du moment où mademoiselle devait patienter, ne serait-ce que cinq minutes, ça avait le don de la mettre de mauvaise humeur. « J’espère que t’as utilisé ces dix minutes à m’attendre en repérant les stands intéressants et ceux qui en valaient pas la peine… » Oui, monsieur arrive en retard et c’est le plus gêné. Je savais que ça l’agacerait encore plus. Mais moi, ma petite sœur, quand elle était chonchon comme ça, ça me donnait encore plus envie de la titiller. Sauf que quand elle me réclama finalement un peu de tendresse tout en se lovant contre mon torse, je ne pouvais pas rester de glace bien longtemps. Mes bras s’enroulèrent autour d’elle, mon menton alla s’enfouir dans ses cheveux alors que je reprenais la parole, faisant référence à notre conversation téléphonique précédemment interrompue : « Tu vois heureusement que je me suis douché et changé, j’aurais pas pu te câliner comme ça si j’étais en bleu de travail, ou alors je t’aurais foutu de l’huile partout… » Dis le que j’ai raison Jillou, dis le… Je finis par déposer un baiser sur son front, ma façon à moi de la saluer. Et lorsqu’elle reprit la parole, pour parler de son superbe appart avec lequel elle me tannait déjà depuis un moment, je secouai la tête, toujours pas décidé à retourner dans mon ancien arrondissement. « Le Queens c’est tellement mieux ma chère sœur. Déménage donc toi ! » Quand on était têtu comme moi, on se trouvait plein d’excuses. « Y’a James, mon pote du lycée tu vois qui c’est ? Bref, il vient d’emménager dans le même immeuble que moi. On est voisins de pallier. » Genre c’était pas possible de déménager à cause de ça… Excuse bidon bonjour. « Mais par contre je viendrais occuper la chambre vide chez toi demain soir je pense… Pas de manière définitive. » ajoutai-je. Je précisais parce que bon, elle avait beau dire qu’on était célibataire l’un comme l’autre, j’avais déjà surpris des types sortir de chez elle. J’étais pas né de la dernière pluie. Genre ce Sloan là, à qui elle –donnait des cours-, et bien je ne le sentais pas du tout. Au moins, elle était prévenue que je serai de passage le lendemain, et elle chasserait les parasites de chez elle comme ça. « Y’a une expo photo intéressante dans le quartier de soho… » continuai-je à raconter histoire d’expliquer à ma petite sœur la raison de ma présence dans son arrondissement.

Je fais non de la tête pour répondre à sa question tout en me justifiant oralement :« Je me suis dit que ça serait ta punition que de faire tout le tour du marché avec moi. » Et ce n'était pas dit que je ne lui cause pas quelque honte par ci par là à travers le marché, j'étais assez douée pour cela il faut bien l'avouer surtout quand il s'agissait de taquiner mon frère, de retomber en enfance avec lui, qu'il y ait du monde autour de nous ou pas. « J'avoue que c'est mieux ! » Je profite de ses bras encore quelques secondes avant de m'en détacher quand on parle des quartiers dans lesquels on vit. « On a grandi à Manhattan Nate ! Je suis comme un poisson dans l'eau dans ce quartier, et puis j'adore prendre les transports en commun et savoir aller partout en ville, mais de ton appartement ça ferait beaucoup trop loin de mon travail ! » Comme c'est impossible pour moi d'imaginer de changer de boite pour le moment, je reste dans mon appartement et je reste la chieuse qui embête mon frère tous les quatre matins pour qu'on se voit plus souvent, c'est comme ça et c'est tout, tant pis pour lui. « Pas de souci, je n'ai rien de prévu demain soir, ni cours du soir, ni rencard... D'ailleurs en parlant de rencard, tu te souviens de Jay ? Enfin Jayden ? Des vacances en Italie ? » J'aurais pu dire celui qui m'a pris ma virginité mais non ça aurait fait monter la moutarde au nez de mon frère d'amour un peu trop rapidement et je comptais bien le ménager, et puis il y avait ce je ne sais quoi avec le jeune homme d'inexplicable malgré la rancune que j'avais à son égard, alors mieux valait il ne pas trop aiguiser la colère de mon frère à son égard si jamais...