«  Jillou rends-moi mes clés de voiture, je vais être en retard pour aller la chercher ! » Cet homme qui me supplie presque pour avoir ses clés pour aller chercher la demoiselle qu’il a invitée pour son premier vrai rencard, c’est mon frère. Nate, neuf mois de plus que moi.  Il est grand déjà pour seize ans, il a une belle carrure, c’est un sportif ça se voit, il fait attention à lui, il veut plaire et ça fonctionne. Je suis jalouse. J’ai pris ses clés parce que je ne veux pas qu’une jeune femme entre dans sa vie,  je ne veux pas le partager, je veux qu’il reste avec moi, qu’on reste tous les deux, pour toujours. C’est comme ça depuis que nous sommes enfants, il y a un lien magique entre nous deux, presque comme des jumeaux, nous sommes inséparables, il a un avis à donner sur ma vie, je donne mon avis sur la sienne. Sauf que depuis peu, il a son permis, alors que moi je n’ai pas encore l’âge, alors il sort, il va s’amuser un peu avec ses potes, un peu plus qu’il ne l’a jamais fait avant. Ca me dérangeait mais je ne disais rien, sauf que maintenant que les filles rentrent en jeu, c’est différent. « Je te les rends que si tu m’emmènes, je veux la voir. » Mon frère secoue la tête, désespéré puis me saute dessus m’empêchant de bouger et me chatouillant pour me faire desserrer la main, ce que je finis par faire. Je rigole encore et encore, les larmes coulent sur mes joues tellement je rigole et lui il a ses clés, mais non, il continue. Il me taquine pour finalement venir déposer un baiser sur ma joue et me souffler :   «  Tu sais que tu resteras toujours la seule et l’unique petite sœur d’amour. »

« Dites moi que je suis compatible avec lui docteur ? » Mes yeux sont suppliants, larmoyant, ma vue n’est pas des plus nettes, loin de là. On a découvert à mon frère une leucémie il y a six mois, aujourd’hui le seul espoir qu’il s’en sorte c’est la greffe de moelle osseuse. Mes parents ont refusé que je fasse les tests s’ils avaient la chance d’être compatibles mais ce n’était pas le cas. Alors je l’ai fait. Je veux sauver mon frère, mon ange gardien.   «  Vous l’êtes. Le pourcentage est élevé c’est assez rare en dehors des cas de gémellité. » Un petit sourire se dessine sur mon visage. C’est le destin, le destin qui a créé ce lien, qui me permet de pouvoir lui sauver la vie s’il ne rejette pas la greffe. Je suis prête à l’affronter, je suis prête à faire ça, je suis presque même excitée parce que la seule chose que je veux c’est le retrouver tel qu’il était il y a encore quelques mois. Et puis c’est trop tôt pour mourir, il n’est encore même pas majeur, il n’a que vingt ans alors que moi je les aurais dans quelques jours.

J’ai mon diplôme, après six ans d’étude je l’ai enfin eu. Je rejoins rapidement mes amis au bar dans lequel je leur ai donné rendez vous en leur disant que soit on noierait mon chagrin soit on ferait la fête. Et c’est la fête. Les verres s’enchainent, je suis heureuse, très heureuse. Je le serai encore plus si mon frère était là, mais non. Ca fait plusieurs années qu’on s’est éloignés. En fait, depuis la maladie, depuis la greffe. Il a changé, du moins je le trouve changé et on ne s’entend plus aussi bien. De plus, je me suis consacrée à mes études, j’ai profité de la vie, j’ai énormément voyagé dès que l’occasion se présentait afin d’enrichir ma culture… Tout ça a fait que nous nous sommes éloignés même si nous avons eu la même manière d’appréhender la vie, juste pas le même rythme. Bref, je trinque une nouvelle fois quand je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. Je le prends rapidement et j’essaie d’être la plus normale quand je vois le numéro de chez Sullivan & Cromwell s’afficher. J’ai passé un entretien il y a quelques jours chez eux, oui j’ai de l’ambition, je veux intégrer l’un des cinq plus grands cabinets d’avocats de New York. Je n’ai pas de mal avec mon ambition.   «  Allo… Oui je suis Jilly Carlton… » Ma voix est un peu tremblante, c’est le stress. « Mademoiselle Carlton j’ai le plaisir de vous annoncer que votre bureau vous attend lundi dès 8h dans notre cabinet ! Fêtez bien cela tout en restant raisonnable. » Je raccroche et j’hurle de joie, repayant une tournée à tout le monde, l’argent ne manque pas chez nous, loin de là. Puis on décide de sortir, d’aller en boite. L’alcool coule à flot encore et encore. La soirée se termine et on rentre, mon meilleur ami prend le volant, il ne devrait pas mais on ne s’en rend pas compte. Il conduit, grille un feu et tout bascule.

«  Quoi de nouveau aujourd’hui ? » Rien. Voilà ce que j’entends depuis plusieurs jours, semaines, même mois maintenant, mais au moins, moi je suis là, ce n'est pas le cas de mon meilleur ami qui lui est décédé. Nate est à mes côtés tous les jours depuis l’accident, je le sais, je l’entends, j’entends tout. J’ai envie de lui faire signe, de lui dire que je suis là mais mon corps ne réagit pas, rien ne réagit depuis  que je suis dans ce lit, depuis trois mois maintenant. Les médecins disent que les contusions se résorbent, que les fractures ne sont plus, mais moi je ne sors toujours pas du coma. C’est étrange. Sauf qu’aujourd’hui, quand mon frère vient me prendre la main, j’arrive à la serrer légèrement, il me sent bouger et fait un bon. Il revit, et moi aussi quand mes yeux se décident enfin à sortir de l’ocscurité. Les jours suivants sont compliqués mais se ressemblent, mon frère heureux mais à la fois inquiet, je le retrouve, on se retrouve, les médecins contents mais décidés à me faire remarcher au plus vite. Tout va un peu vite pour moi et pourtant il le faut, j’ai perdu assez de temps à jouer à la belle au bois dormant.

Je fais mes premiers pas dans mon nouveau bureau. Enfin. « C’est un plaisir d’enfin pouvoir vous accueillir Mademoiselle Carlton. » Ils m’ont attendu, ils m’ont gardé le poste en apprenant que je m’étais réveillée, ils ont attendu des mois et des mois le temps de ma rééducation. Ils ont été parfaits. De ce fait, j’ai un travail que j’aime maintenant et j’ai aussi pris quelques heures à l’université en tant que chargé de travaux dirigés afin de transmettre mon amour pour mon métier et la pratique que je vais acquérir. Petit à petit je reprends ma vie normalement.