Ca commence toujours pareil, un mec, une fille, et de l'amour entre eux. Enfin, normalement. Je suis pas sûre qu'il y en ai beaucoup eu entre mes parents, mais l'essentiel, c'est qu'un jour elle est tombée enceinte, et lui, a décidé de rester. Pour le meilleur et pour le pire.. sans le mariage. J'ai pas des parents conventionnels, moi. D'où le fait que je porte deux noms de famille. Même ça, ils n'ont pas réussi à se mettre d'accord. Je suis née, donc. A Manhattan, dans une demeure plutôt modeste, dans un quartier de bourgeois. On a toujours eu la folie des grandeurs, voyez. Ambitieux sans avoir encore la reconnaissance du monde. Ca arrivera. Ils étaient heureux d'avoir une fille, à ce qu'il paraît. Il n'empêche que j'ai un prénom masculin, et pour moi, ça traduit plutôt le contraire. Parait que j'ai pas voulu me tourner devant la caméra, que j'refusais déjà la superficialité de ce monde. Ou peut-être que j'avais déjà envie d'emmerder autrui, alors que j'étais même pas encore complètement constituée. Une Jules, qui en grandissant se révèle aussi masculine que son prénom l'en avait conditionnée. Le père est heureux, la mère un peu moins. Mais maman, tu le vois pourtant bien, que j'ai pas été aidée par la nature niveau formes féminines. C'est pas que je suis pas jolie, juste.. ben, je crois que je pourrais pas être miss New-York, c'est tout. Puis ça tombe bien, je préfère pouvoir m'écorcher les genoux à ma guise.
Très tôt, une préférence se fait pour le patriarche. C'est plus facile, la mentalité masculine. Je ne supporte pas les couinements, les messes-basses, les discussions stériles. Le maquillage outrancier. La fille à son père. Qui n'a jamais eu besoin d'un autre homme dans sa vie, indépendante très tôt et autonome dès qu'elle a pu. Bagarreuse parfois, sociable et d'une fidélité absolue dans ses amitiés. Certains amis de l'enfance le sont encore aujourd'hui. Ses études s'orientent rapidement vers le journalisme, comme son père, et après quelques années d'apprentissage à Columbia, est embauchée dans le même journal que le patriarche, le père Ellington ayant prit la tête de ce dernier. D'ailleurs, cet événement avait grandement augmenté le compte en banque de la petite famille, ce qui avait, du coup, augmenté proportionnellement la taille de leur appartement. C'est officiel, ils étaient de ces gens aisés désormais.  De ces gens aisés dont Jules se méfiait, se défilant dès qu'elle le pouvait de ces repas guindés et surfaits, préférant la réalité d'une rue mal éclairée. Aujourd'hui, la demoiselle a prit son indépendance, mais se plie parfois, par nécessité et pour aiguiser la fierté patriarcale, aux obligations de ce monde. Fait semblant de s'intéresser aux sujets souvent fades qu'elle se doit de traiter. En contrepartie, s'évade par quelques arts, quelques décadences. Sa vie est belle, à sa manière, rythmée par ses rebellions contre le monde actuel et sa facilité à céder aux appels du bonheur éphémère.