« Nate ? Tu dors ? » Je me dressai là sur la pointe des pieds devant l'immense porte de la chambre, les lèvres difficilement collées à la serrure , en espérant arriver à réveiller mon frère. Du haut de mes six ans, j'attrapai la poignée et ouvrit la porte doucement, me faufilant à pas feutrés dans la pièce. Mon frère était étendu là dans son lit, endormi. D'un bond je grimpai sur le lit, montant sur son dos sans aucune gène. « Nate, allé réveille-toi, tu m'avais promis qu'on tuerait les monstres ensemble ! » lui avais-je crié en agrippant ses cheveux et en sautant sur son dos. « Marlee, je dors là ! » me lança-t-il au visage, dans une sorte de beuglement. « Mais tu avais proooooomis » lui criai-je au visage en continuant de sauter sur son dos. Dans un mouvement brusque, mon frère m'attrapa le bras pour que j'arrête mon vacarme. « Marlee, il est six heures du matin ! » Je posai mon regard boudeur sur lui, puis d'un rapide mouvement, me couchai dos à lui, dans la couverture. J'entendis mon frère qui soupirait longuement, les yeux encore collés de son réveil brutal. « Juste une partie ? »

Avec Nathanaël, ça a toujours été comme ça, une sorte de relation fusionnelle. Avoir un frère, ça change la vie. Il a cette capacité de pouvoir lire en moi comme dans un livre ouvert, il sait tout, ressent tout, il est moi, je suis lui. Depuis notre plus tendre enfance, nous avons cette espèce de lien qui nous unit et fait que nous ne pouvons vivre l'un sans l'autre. Il sait faire face à n'importe laquelle de mes crises de nerfs, de pleurs ou de folie. Je sais toutes ses réactions face aux situations qu'il doit affronter. Même si quelquefois ça crise, ça se dispute, on sait toujours qu'un de nous deux va finir par s'écraser et s'excuser auprès de l'autre, car c'est comme ça. On a toujours tout fait ensemble, je connaissais la majorité de ses copains, ils connaissaient tous les miens. Il n'a jamais eu honte de sa petite soeur, il m'a toujours emmené partout, tout appris, tout montré, tout dit. Nathanaël, il n'est pas trop protecteur, il n'est pas trop lourd comme grand-frère, il ne me surveille pas, il me fait confiance, quelquefois il me résonne, il m'engueule, mais il sait très bien que je n'en ferais qu'à ma tête, car il est autant têtu que moi, mais au fond il le sait, il le sait que je l'écoute et que son avis est important, il sait que je ne veux pas le décevoir, le blesser, il sait tout ça. Je crois qu'avec Nathanaël, on ne s'est jamais vraiment disputés, il y a de grosses engueulades, oui comme dans toutes les fratries, les plus longues durent quelques jours, seulement quelques jours, mais qui me paraissent comme une éternité.


maman. on ne peut pas dire qu’elle ai été l’exemple parfait, la mère attendrissante que tout enfant rêverait d’avoir. non. elle avait préféré passer sa vie comme croqueuse d’hommes, une réelle escroc. elle vivait de son charme, des banquets où elle les accompagnait ces sales riches en mal d’amour. toujours vêtu de ses plus belles robes, haut perché sur ses talons à 200 billets. elle savait les charmer, elle les faisait payer pour son sourire, sa prestance et sa grâce. et elle nous a délaissé, nathanaël et moi, nés de l’union d’une escort et d’un connard qui n’a pas su assumer ses erreurs, car oui, c’est cette impression qu’on ressentait avec mon frère. des erreurs. on a grandi sans père et presque sans mère. mon père s’est barré lorsque ma mère lui a annoncé qu’elle était enceinte de moi. je n’ai jamais connu mon père, nate ne s’en souvient pas, il était si jeune quand il est parti. et c’est de cet abandon que la descente aux enfers a commencé pour ma mère. l’alcool était monnaie courante à longueur de ses journées, puis vint s’ajouter les autres substances, des mélanges qui lui permettaient d’oublier cette « vie degueulasse » comme elle aimait la qualifier.

et il y avait louise. payée par ma mère, elle s'occupait de nous, nuit comme jour. elle reflétait pour nous l'image maternelle qu'on n'avait pas. une femme douce et forte, brisée par un mariage raté. elle venait souvent avec son fils, jonah qui avait deux ans de plus que moi, un an de plus que nathanaël. jonah est devenu très rapidement ami avec mon frère, un garçon simple, un peu turbulent, qui n'avait pas su accepter le départ de son père, une colère qui grandissait en même temps que les années passaient. en toute franchise, au départ je ne l’aimais pas, il avait la fâcheuse tendance à ne pas m’intégrer, moi qui avais toujours trainé dans les pattes de mon frère. puis ses excès de colère ont forcé son départ, sa mère ne le supportait plus, elle l’avait envoyé en internat, loin de new-york et de ses tentations. puis il est réapparu quelques années plus tard. j’avais dix-huit ans, lui vingt.

« tu veux boire quelque chose ? » jonah s'était approché de moi alors que j'étais assise seule dans le canapé des amis de mon frère. ce soir là, j'avais pas vraiment la tête à faire la fête, bizarrement ça ne me ressemblait pas moi qui étais une grande adepte de sorties en tout genre. Mon regard s'était tourné vers lui « une vodka s'il te plait, mets ce que tu veux dedans pour diluer » Le jeune homme s'était éloigné pour s'approcher de la table où étaient disposées les bouteilles d'alcools et les boissons softs. du coin de l'oeil j’observais mon frère discuter avec une jolie blonde, il avait son habituel regard charmeur et la cruche était plantée là, devant lui, un sourire béat aux lèvres comme si elle venait de se faire accoster par léonard dicaprio. Il ne pouvait pas s'en empêcher, mais avait le malheur de tomber tout le temps sur des filles qui avaient le quotient intellectuel de moules avariées. Le verre que jonah agitait devant mes yeux me sorti de mes pensées. « merci » lui dis-je avant de prendre une gorgée. Il ouvrit son paquet de cigarettes en me le tendant. « t'en veux une ? » Je pris une cigarette puis le suivis à l'extérieur de la maison. de son zippo où étaient gravées ses initiales il alluma ma cigarette. notre conversation a duré des heures, ce soir là, ensembles, on avait refait le monde. cette colère d’enfant toujours présente en moi avait laissé place à une attirance pour sa manière de penser. attirance interdite qui aurait fait vriller nathanaël s’il avait été au courant. ce fut le seul et unique secret dont il n’était pas au courant.


ma mère est partie en desintox le vingt-trois février deux-milles quatorze. ce que ça coûte cher un centre de desintox putain. nate et moi avions été obligé de vendre la maison pour payer sa cure, mais il en manquait encore. illégal. c’est comme ça qu’était qualifié le genre de commerce  qu’on avait lancé nate et moi. l’argent qu’on gagnait nous servait à payer ce qu’il manquait pour être en règles avec le centre. à côté de ça, on était obligé d’enchainer des petits boulots pour payer nos nouveaux logements dans brooklyn. je n’avais trouvé qu’une place de disquaire dans une petite boutique, un vingt heures mal payé mais qui suffisait à « mettre du beurre dans les épinards » comme on dit, puis il était pas si mal ce travail. à côté de ça, la vie continuait son cours dans les rues de new-york. nate, jonah et moi formions un joli trio. notre attirance ? toujours bien présente, je le confirme. mais encore interdite. nate s'en doute, mais il attend le bon moment pour me le dire. je le sens. puis de toute façon, j'ai peur, peur de me mettre dans la merde, peur de m'attacher, peur de perdre cette liberté tant appréciée. alors je bois, je fume, je consomme ces substances illicites, cette chair d'homme qui ne me plait même pas, je traine sur les toits, dans les parcs, dans les bars et j'aime ça, encore plus que ce minuscule rictus qui apparait sur le visage de jonah quand il sait que je rentre tard.