C’était le petit matin, la luminosité avait transpercé les vitres de la chambre principale du bel appartement de Manhattan. Nolan s’était laisser surprendre et était sorti du lit avec hâte, non sans se remémorer les faits de la veille. Alors qu’il promenait Vador dans Central Park après une journée de dur labeur, il avait rencontré cette jeune fille surprenante, qui planait. Intrigué par sa seule présence, Hamilton avait posé d’innombrables questions à la jeune femme qui avait fini par lui dire qu’elle était seule. Que pouvait-elle faire là, déchirée à ce point ? Le directeur de création ne pouvait pas la laisser dans un tel état sur la voie publique. Elle avait l’air très jeune et il ne se voyait pas lire les journaux et apprendre que la petite était décédée dans la nuit alors qu’il l’avait croisée. Il ne se le serait jamais pardonné. Il la ramena donc chez lui, non sans de nombreuses protestations de la part de la jeune femme. Il n’aurait peut-être pas dû faire ce geste, au fond, Nolan n’avait fait qu’écouter sa conscience qui était loin d’avoir des airs de Jiminy Cricket. En se levant ce matin, il passa donc faire un tour dans la chambre d’amis, où la belle dormait encore. Vador, lui, était intrigué par cette présence intempestive qui remettait en question sa tranquillité. Pour autant, il s’était couché à la même place qu’à l’ordinaire, dans la chambre de son maitre qu’il suivait maintenant partout. Ce dernier s’était échappé dans la cuisine pour se faire un bon café, et préparer un petit déjeuner à miss junkie qui risquait d’avoir une belle gueule de bois, non sans avoir pris une douche au préalable et mis une chemise et un pantalon à pinces. Lui regarda l’heure qui s’affichait sur le cadran de la grosse horloge. Celle-ci indiquait six heure trente. Il avait le temps d’arriver au boulot, mais il espérait que la demoiselle ne fasse pas une grasse matinée, bien trop lovée dans les draps du confortable lit qu’il avait mis dans la chambre d’amis. D’ailleurs, il se demandait bien pourquoi il avait fait une chambre d’amis, car il était bien rare qu’il reçoive du monde. Toutefois, toutes les pièces étaient déjà bien fonctionnelles et avaient toutes une utilité. Il se voyait mal s’en servir comme débarras et avait intégré une chambre. Aujourd’hui, elle servait enfin à quelque chose. Se servant une bonne tasse de café, le trentenaire se mit aux fourneaux pour réaliser quelques pancakes. En espérant que la Belle au bois dormant ne soit pas trop difficile, quoiqu’elle avait l’air assez sauvage, de ce qu’il avait pu en voir la veille au soir, plutôt récalcitrante à ce qu’on lui vienne en aide. Retournant les pancakes dans la poêle, il détourna les yeux quand il aperçut une silhouette sur sa gauche, sortant enfin de la chambre. « Bonjour, euh… Marlee c’est ça ? J’espère que tu aimes les pancakes, j’ai pas vraiment l’habitude de déjeuner le matin. » Il se décarcassait pour une inconnue, c’était une première. Il ne put s’empêcher de la détailler un instant. Elle était plutôt séduisante, son regard perçant contrastait avec le teint hâlé de sa peau, et n’allait pas sans lui rappeler une personne toute particulière pour lui. Sans détacher le regard d’elle, il se posait encore tout un tas de questions auxquelles elle n’avait pas répondues la veille, mais au fond, avait-il besoin de savoir pourquoi elle s’était mis dans un tel état ?

Une fois de plus.
Une fois de plus elle avait passé sa nuit dehors, à trainer dans les rues, dans les bars de New-York, à consommer tout ce qu’il était possible de consommer. Une fois de plus elle s’était tuée les poumons à trop fumer, le foie à trop boire, les mains à trop toucher. Une fois de plus, elle s’était paumée, elle s’était éloignée de ses amis, surement attirée par quelque chose, comme elle sait si bien le faire, pour se retrouver au beau milieu d’un quartier qu’elle ne reconnaissait même pas vu dans l’état qu’elle était. Une fois de plus elle s’était dit que ce soir elle resterait tranquille, elle essaierait de se contrôler et elle n’y était pas arrivée, bien trop influençable, bien trop naïve, bien trop faible. Elle tentait de s’échapper, s’échapper de cette vie qui quelques fois lui donne l’envie de vomir, s’échapper de ce quotidien de misère qu’elle vit, de ce rythme bien trop difficile pour une gamine de vingt trois ans qui n’a pas eu la chance de naitre dans une famille normale. Oh non, elle n’aimerait pas qu’on la plaigne Marlee, elle est tout de même fière, fière d’être comme elle est, fière de rendre service, d’aider sa pauvre toxo de mère, mais quelques fois, elle craque, elle a besoin de relâcher la pression, souvent. Et c’est ce qui s’est passé ce soir-là. Elle avait totalement relâchée la pression au point de se perdre dans ce maudit parc et de se faire ramasser par le premier inconnu qui passe…

Ses yeux tentaient de s’ouvrir difficilement alors que son corps encore engourdie de sommeil se crispait légèrement afin de s’étirer de tout son long dans le lit. Elle agrippait de ses deux mains le drap qu’elle remonta sur son visage pour se cacher de la lumière qui traversait la pièce. Mais quelque chose était étrange dans cette pièce. L’odeur des draps n’était pas la même qu’à son habitude, une odeur bien trop propre, des draps bien trop doux, un lit bien trop confortable qui ne ressemblait en aucun cas au sien. D’un coup de bras, Marlee dégagea la couverture de son visage et se redressa sur le lit, la pièce n’était pas disposée normalement, rien n’était disposé normalement. Et malgré que ce ne soit pas la première fois qu’elle se réveillait ailleurs que dans son propre lit, cet appartement ne ressemblait pas aux appartements des personnes qu’elle côtoyait habituellement, tout paraissait neuf, figé, sans vie, comme si elle avait dormi dans un appartement témoin d’une grande chaine de magasin suédoise. Où était-elle ? Que foutait-elle ici ? Ses pieds touchèrent le sol en une fraction de seconde, son coeur commençait à battre, elle appréhendait, elle ne savait rien, elle paniquait. Ce comportement ne lui ressemblait pas, elle n’était pas du genre à avoir peur, sa nourrice lui disait souvent qu’elle n’avait peut-être pas assez peur, qu’elle n’était pas assez méfiante « dans ce monde de fou », comme elle aimait tant le dire. Aujourd’hui, c’était différent, cet endroit était différent, ce cadre était trop parfait pour être net. Le comble, elle qui trainait quelques fois dans des endroits malfamés. La jeune brune s’approcha de la porte entrouverte de la chambre et suivie l’odeur qui se dégageait du bout du couloir, cette délicieuse odeur de pancakes tout juste cuits, pour atterrir dans une cuisine ou se trouvait, dos à elle un homme, dont elle ne pourrait estimer l’âge, près des fourneaux. « Bonjour, euh… Marlee c’est ça ? J’espère que tu aimes les pancakes, j’ai pas vraiment l’habitude de déjeuner le matin. » Honnêtement, elle ne savait pas tellement comment réagir, son coeur battait si fort dans sa poitrine que l’homme en face d’elle aurait pu l’entendre. Et comment connaissait-il son prénom ? Son visage se décomposait légèrement, elle était tiraillée, tiraillée entre l’envie de lui donner un coup et de s’enfuir en courant et l’envie de rester car le visage de cet homme n’était pas effrayant et même plutôt rassurant. « Qui… qui êtes-vous ? Pourquoi je suis là ? Qu’avez-vous fait de moi ? Ou est mon téléphone ? » Elle avait craché ses questions à vitesse grand V. Elle n’était pas sereine Marlee, vraiment pas. Elle ne se rappelait de rien.

Une salve de questions s’échappa des lèvres de la jeune femme. Elle avait l’air soucieux, presque convaincue qu’il l’avait kidnappée. Ca aurait dû contrarier Nolan, voire l’énerver, mais il se contentait de sourire en retournant ses pancakes comme le faisait jadis sa mère. Le comportement du jeune homme était des plus étranges, il ne se souciait guère qu’une étrangère ait passé la nuit chez lui. Elle aurait pu lui mettre sans dessus dessous l’appartement, elle aurait pu lui dérober n’importe quoi, mais Hamilton n’y songeait même pas. Après tout, qu’est-ce que ça changerait ? Il était plein aux as, il avait la vie qu’il avait toujours voulu mener et ce n’était pas un petit caillou dans sa chaussure qui allait le contrarier. Il était de bonne humeur et c’était presque rare. D’ordinaire, le jeune homme était plutôt sans émotion, le visage droit, sérieux et fermé, et il n’aurait pas pris la peine de veiller sur une inconnue en lui préparant un petit déjeuner. Il ne saurait dire ce qui l’avait poussé à le faire, mais il aurait cru à plus de reconnaissance de la part de la jeune Marlee. Il avait mal apprécié la situation : elle était une droguée, comment pouvait-elle avoir la moindre notion de bienséance ? En fait, elle n’était pas si terrible. Il avait pu entendre un tas de choses émaner de la bouche de la jeune femme, et même sous l’emprise de la drogue, ce n’était pas que des conneries sans nom. Elle avait l’air meurtrie au fond d’elle, c’était peut-être ce qui l’avait poussé à agir en fin de compte. Et puis, comme il avait subit un interrogatoire, Nolan amusé, se prêta au jeu des questions réponses : « Je m’appelle Nolan Hamilton, tu te trouves à Manhattan. Je t’ai trouvée dans Central Park dans un sale état hier. J’ai cru bon de te ramener ici pour que tu sois en sécurité. » Ce n’était que l’exacte vérité, mais il était sûr qu’elle trouverait quelque chose à redire à cet acte chevaleresque, d’autant plus qu’elle le soupçonnait déjà d’avoir abusé d’elle. « Ce que j’ai fait de toi ?! Je t’ai couchée dans la chambre d’amis, c’est tout. » Dit-il en haussant les épaules. Il aurait voulu plaisanter en lui rétorquant qu’il ne couchait jamais le premier soir, encore moins avec une droguée, mais il n’était pas sûr qu’elle apprécie l’humour alors qu’elle était effrayée par un type sympa qui lui cuisinait des pancakes. Sortant les pancakes de la poêle, il les posa sur une assiette qu’il déposa devant la jeune femme sur le comptoir en sortant plusieurs aliments qu’elle pourrait associer avec. « Je crois que ton téléphone est sur la table de nuit dans la chambre. Mais il ne doit plus avoir de batterie. Je peux te prêter un chargeur si tu veux. » Après tout, il n’avait vu aucun téléphone dans le salon ni dans la pièce à vivre. Il ne s’en était pas soucié pour ainsi dire. Le sien était à sa place, c’est la seule chose qu’il savait. Alors qu’il se faisait un café pour la deuxième fois de la journée, il se tourna vers la demoiselle, curieux de savoir si ça lui prenait souvent de se droguer à ce point ou si elle en était à son coup d’essai. « Ca t’arrive souvent de te mettre dans un état aussi pitoyable ? » Il se fichait bien du ton adopté, en fait il trouvait son attitude déplorable. Si elle en était arrivée là, c’est qu’elle n’avait aucune force mentale et Nolan jugeait les drogués, faibles et peu recommandables. Toutefois elle avait peut-être une bonne raison de le faire.