" Ça va mon ange ? " De l'autre côté de l'écran, de l'autre côté de l'océan : mon père, ses cheveux gris et sa voix plein d'inquiétude. Aujourd'hui ça fait deux ans, deux longues années que Dyke et les jumeaux sont morts. Un 31 décembre de folie, des barres de rire entre amis mais pas d'alcool. Enceinte de cinq mois, il était tout bonnement interdit que je boive et mon fiancé en avait fait de même, par solidarité. Parce que Dyke et moi, on était comme ça, on se soutenait dans tous les événements quelqu'ils soient. Sauf ce jour là. Quatre heures trente, sur les routes enneigées. On roulait bien en dessous de la limite règlementaire quand une voiture est arrivée de nul part et nous est rentrée dedans de plein fouet. Le flou, le noir, le vide. Je me souviens sourire à Dyke, lui dire que je l'aimais et trente secondes plus tard, on faisait un bon nombre de tonneaux. Les jumeaux que je portais n'ont pas survécu à cet incident. Mais à quoi bon ? J'aurais tout bonnement été incapable d'avoir ces enfants sans Dyke. Un souvenir de lui, un regard et j'aurais sombré. Je suis restée quelques jours dans le coma, mon corps était un vrai champ de bataille. Je me suis enfoncée plus d'une fois, j'ai sombré plus d'une fois et les brûlures dû aux palettes de réanimation le montrent bien... J'ai failli y rester et aujourd'hui, comme tous les ans à cette même heure, je suis avec mes parents. Pas physiquement parce que je ne veux voir personne le premier janvier, c'est plus fort que moi. 2014 a été une année merdique et tout ce qui s'est passé en 2015 en France - et même dans le monde - me montre bien que 2015 a, elle aussi, été une année de merde. J'espère que l'adage 'jamais deux sans trois' ne se réalisera pas. " Ça va papa. Je suis juste un peu fatiguée. J'ai plutôt mal dormi la nuit dernière, tu te doutes bien... " Mais je lui adresse un léger sourire pour le rassurer. Je sais bien que ça ne fonctionnera pas mais je n'ai rien d'autre comme solution. Je ne peux pas sourire et il le sait bien. " Comment va Estelle ? " Demandais-je pour changer de sujet. Estelle, c'est ma petite soeur. Elle a deux ans de moins que moi. On s'entend à merveilles mais je sais qu'elle, elle n'est pas traumatisée par cette foutue date et qu'elle doit être collée dans son lit king-size entrain de baver et de décuver. Estelle, c'est moi en sauvage. Elle sort, elle boit, elle baise comme on dit si bien. Et mes parents la laissent faire parce qu'elle n'a jamais dépassé les bornes. Je ne sais pas qu'elles bornent ils ont mais on a définitivement pas les mêmes. La dernière fois que je l'ai vu, les flics m'attendaient à mon retour de garde. " Tu connais ta soeur Louise ! Elle dort encore et va sortir cette nuit. Elle n'est plus avec Tim " Tim, l'ouragan. Tim mon ancien partenaire de danse. Parce que la danse a été une très grande partie de ma vie jusqu'à la danse de trop. Seize ans, grande, fine, musclée, forte. Oh, j'avais tout pour réussir, pour intégrer une putain de compagnie et de vivre la vie dont je rêvais, sur les routes, un sac, deux tenues et une paire de chaussures de danse. Mais le bon dieu en a décidé autrement. Un jeu débile et une opération plus tard, je ne serai plus jamais capable de danser. Enfin si, je peux danser, je danse toujours, mais pas au niveau que je voudrais, que j'aimerais. Mais j'ai pas le choix. Je la sens cette douleur qui me ramène onze ans en avance, qui me ramène sur cette moto avec Carl, le demi-frère de Tim. Je lui faisais confiance, bien plus sage que son frangin. Et au final, la chute qui te fragilise, les douleurs que tu ignores et les larmes qui ne sèchent plus. " Jusqu'à ce qu'ils se remettent ensemble, vous le savez bien " parce qu'eux deux, c'est ça depuis six ans qu'ils sont ensemble. Je t'aime moi non plus. Mon portable vibre à côté de l'ordinateur et je glisse les yeux dessus. On ne me gêne pas le premier janvier, tout le monde le sait. Alors je laisse sonner et rappeler. Une fois, deux fois, trois fois. Un SMS d'une de mes collègue qui m'annonce que ma petite patiente est entrain de s'enfoncer sévèrement et que je dois venir. Je ne suis pas de garde. C'est ce que je lui réponds. Elle sait que je ne peux pas prendre la voiture aujourd'hui, surtout pas aujourd'hui. Je converse avec mes parents avant de raccrocher. C'est la petite qui veut me voir, qui crache du sang comme jamais et qui ne veut pas se faire approcher par qui que ce soit. Je ne peux pas l'abandonner parce que Taylor m'a écouté, soutenu et même tenu la main depuis que je la connais. Cancer des os à quatorze ans. J'ai l'estomac qui se sert pendant que j'hèle un taxi. Hors de question de prendre la voiture aujourd'hui. Il semblerait que 2016 s'annonce tout aussi chaotique...