Tout le monde n'a pas cette chance que de naître dans un foyer harmonieux et prospère. Ton histoire est loin de ressembler à un conte de fées. Tu n'étais pas une petite fille attendue par des parents désireux de fonder une famille. Peut être qu'ils auraient bien aimé te garder s'ils en avaient eu la possibilité mais c'était loin d'être le cas. Tes grands parents maternels ne leur ont pas laissé le choix que de faire une croix sur toi. Dès la découverte de ton existence, il était clair et net que jamais tu ne resterais avec eux. Une jeune femme de seulement dix sept ans ne peut pas assumer un rôle de mère encore moins quand l'argent ne tombe pas du ciel. Quelques heures seulement après ta venue au monde, tu étais déposée aux portes d'un orphelinat ukrainien, sans identité, sans rien. Ta mère ne t'avait laissé pour seul souvenir qu'un simple collier en argent qui aujourd'hui encore orne ton cou. Tu as attendu trois années dans cet immense foyer où tout était synonyme de misère avant d'être choisie par une famille américaine. Ils n'étaient pas riches, juste dans la moyenne, avec une seule idée en tête, t'offrir une vie digne de ce nom. Direction la Virginie. Dépaysement total mais vu ton bas âge, tu n'as pas mis longtemps à t'adapter à cette nouvelle vie, découvrant surtout ce qu'est l'amour paternel.
C'est relativement jeune que tes parents t'ont révélé que tu avais été adopté. L'honnêteté a toujours été une valeur importante à leurs yeux et ça l'est aussi devenu pour toi. Le fait de ne pas être leur fille biologique ne t'a jamais gêné pour t'épanouir. Ils t'ont élevé et ont toujours été là pour calmer tes pleurs alors tu leur dois tout. Et c'est exactement pour cette raison que ton objectif dans la vie a toujours été de les rendre fiers. Adolescente tu n'as jamais fait de bruit. Tu te contentais d'être attentive à l'école, de rester loin des problèmes, d'aider ta mère à entretenir la maison que tu as toujours connu. Ce foyer qui respirait la joie de vivre, notamment lors des fêtes de fin d'année lorsque toute la famille était réuni au coin du feu pour déballer les cadeaux. Une famille simple, une vie simple, comme un bon millier de familles américaines.
On peut dire que tu vivais d'amour et d'eau fraîche mais aussi et surtout de cuisine. Dès ton plus jeune âge, tu t'es vite trouvé derrière les fourneaux aidant ta mère à confectionner des gâteaux, c'est sûr que mettre les mains dans la pâte est quelque chose d'amusant. Cette passion ne t'a jamais quittée et au fil des années tu es vite devenue un vrai cordon bleu. Dès que tu avais du temps libre, tu enfilais ton tablier. Tu adorais confectionner de nouveaux plats, les revisiter et surtout les inventer. Tu avais un don pour sublimer les produits et c'est tout naturellement que tu t'orientais dans ce domaine pour tes études. Tes parents n'avaient pas pu t'offrir l'entrée dans une de ces prestigieuses écoles de cuisine mais celle de Richmond te suffisait. Tant que tu pouvais étudier ce qui te plaisait, tu étais heureuse. La cuisine c'était ton élément et c'est très aisément que tu obtenais ton diplôme. Qui plus est ton cv fut bien garni grâce à tes stages effectués dans des maisons de renoms. Tu aurais d'ailleurs pu postuler au seing d'un grand restaurant maintenant que tes études étaient terminés. Mais non, ton ambition était plus grande et tu voulais réaliser le rêve qui te collait à la peau depuis des années à savoir celui d'ouvrir ton propre restaurant.
Avec tes économies, l'aide financière de tes parents et celle de la banque, tu rachetais un établissement dans la ville où tu avais toujours vécu, dans le but de le rénover. Des mois de travaux où tu avais toi aussi relever les manches pour rendre l'endroit plus que parfait. Le concept était simple : il reposait sur une ambiance convivial, familial même, avec une carte 100% végétarienne. Un marché en devenir d'après toi. Il fallait que ça marche pour que tu rembourses ton emprunt. Tu n'avais embauchais qu'une seule personne pour le moment, un jeune homme du nom de Sullivan qui s'occuperait de la salle pendant que toi tu serais en cuisine. Pour la soirée d'inauguration tu avais pris soin d'avertir bon nombre de tes connaissances dans le milieu, la famille, les amis et forcément vous aviez fait salle comble. Ce fut même un triomphe. Le bouche à oreille avait fait son effet et très vite le restaurant faisait le plein à chaque service. Quand tu n'étais pas en cuisine, tu t'occupais de la paperasse. Tu dormais peu mais tant pis, tu avais cette hargne pour faire marcher ton commerce, ton bébé. Heureusement que tu pouvais compter sur Sullivan, qui tous les jours fermait le restaurant avec toi. Une grande complicité s'était créé entre vous, c'est ça de se voir H24. Tu n'aurais jamais cru qu'il s'investirait autant et pourtant c'était le cas. Il avait une montagne d'idées pour que le restaurant reste dans l'ère du temps. Son dynamisme, son humour, sa force de caractère faisait que tu avais fini par tomber sous son charme. Il était la personne sur laquelle tu pouvais te reposer peu importe la raison. Ce qui était initialement ton rêve était désormais une aventure à deux. Très vite, grâce aux bénéfices du restaurant, vous ouvriez un deuxième établissement à Richmond, toujours dans le même concept qui semblait toujours en vogue. Ta carrière était au top et ta vie sentimentale aussi. Jamais tu n'aurais pensé qu'on pouvait atteindre un tel état de bonheur. Depuis l'ouverture du deuxième Fruitables, tout allait vite, peut être trop vite. Au fil des années, votre business s'étendait désormais à toute la Virginie mais aussi à la Caroline du Nord, au Kentucky, au Maryland, au New Jersey et même New York où tu avais désormais élue domicile. Des dizaines et des dizaines d'établissements. Ta popularité n'était plus à faire sur la côte Est des Etats-Unis mais tu restais humble, cette fille qui avait juste voulu réaliser son rêve mais qui avait fini par construire une véritable multinationale.
Cette vie parfaite aurait pu continuer ainsi si un grain de sable n'était pas venu enrayer la machine. Sullivan et toi aviez pu vous offrir un mariage digne de ce nom mais là encore tout en simplicité. Pas d'extravagance, la famille, les amis et l'amour avant tout. Une union que tu aimerais sceller avec un enfant. Tu te sentais capable de jongler entre le rôle de mère de famille et celui de PDG, d'autant plus que tu n'étais pas seule. Mais voilà rien n'y faisait, les multiples tests de grossesse s'avéraient tous négatifs au final, ce qui avait pour effet néfaste de te faire broyer du noir. Très vite tu consultais un spécialiste. La sentence était lourde et irrévocable. Stérile. A la simple entente de ce mot, ton sang s'était glacé. Et cette phrase avait pris tout son sens dans les semaines à venir. Certains s'abandonnent à la tristesse lors d'un drame, mais toi tu étais d'une autre catégorie. Celle de ceux qui enferment à double tour leur secret dans une petite boîte bien rangée au fond de leur âme et qui se punissent eux mêmes pour leur erreur. Tu avais l'habitude que le succès et la chance te tombent dessus, cette sentence de ne pas pouvoir devenir mère stoppait clair et net cette vie de rêve. Cette déception autant envers toi même qu'envers le destin avait éveiller la rage en toi. Si tu ne pouvais avoir de famille alors tu n'avais plus que le travail pour être comblée. Tu te noyais dedans quitte à ne plus dormir pour peaufiner les derniers projets que tu avais en tête. Devenue exigeante, tu en demandais beaucoup trop à tes associés, quitte à paraitre tel un dragon à leurs yeux. La vie n'était plus qu'une question de pouvoir et d'argent. Tu étais capable du pire pour obtenir toujours plus, à écraser la concurrence. Ton nom imposait la peur mais aussi le respect car ta réussite en rendait jaloux plus d'un. Mais cette hargne, cette persévérance à toute épreuve, cette rigidité était à des années lumière de l'ancienne Carter que Sullivan connaissait par coeur. Cette nouvelle toi le dégoutait comme il aimait si bien te le répéter. Ses menaces de divorce revenaient de plus en plus souvent sur le tapis sauf qu'il t'en faut plus pour te faire chavirer. Mais d'un côté, c'est peut être ce que tu attendais de lui, qu'il t'oublie car jamais tu ne pourras lui offrir le bonheur d'être père. Et cette culpabilité te rongera toute ta vie.