Je m'appelle Lluvia Sawyer  Esposito-Diaz, et tout au long de ma vie, j'ai subi les diktats de la beauté pour devenir l'une des têtes couronnées que vous connaissez aujourd'hui. Beaucoup pensent que j'ai une belle vie, sous prétexte que pour moi, l'argent n'est devenu qu'une banalité et que je lâche les billets comme je pourrais donner une cigarette. Cependant, personne ne me connaît en dehors des podiums où j'ai pu avoir mon heure de gloire, aucun d'entre eux, ni d'entre vous ne connaît ma vie en dehors des prémices de ma carrière passée, et à travers ce chapitre de cet ouvrage, je vais vous prouver que derrière une belle façade peut se dissimuler une lourde histoire, et même quelques fondations laissant à désirer.
Je suis née au Mexique, plus précisément à Guadalajara, dans une famille vraiment pauvre mais pourtant soudée et aimante. Nous étions sept frères et sœurs, car il y a cinq ans de cela, l'un de mes frères, à peine plus âgé que moi, a eu un grave accident de voiture qui lui a coûté la vie. C'est en partie pour honorer sa mémoire que j'ai su redoubler d'efforts pour obtenir le titre de Reine de Beauté du Mexique. Dès lors que la couronne a orné le sommet de mon crâne, je me souviens de l'immense fierté que j'ai su ressentir, entremêlée d'une grande émotion, celle d'avoir réussi à lui rendre le plus beau des hommages en y parvenant.
La fortune arrivant, j'ai enfin pu rendre à ma famille une vie décente, dans une belle villa, et de l'argent pour subvenir à leurs besoins durant de longues décénnies. Mais beaucoup de personnes ont cru bon de montrer leur intérêt mal placé à mon égard. Il m'a été compliqué de discerner les bons des faux amis qui se trouvaient dans mon entourage. Beaucoup d'entre eux se sont montrés comme étant uniquement de simples profiteurs. Sans réellement comprendre comment, je me suis retrouvée seule durant quelques temps. Puis j'ai rencontré ces personnes, celles qui elles aussi se trouvaient fortunées et donc désintéressées de mes biens. Elles ne divulguaient au départ pas le fruit de leur richesse. Il y avait ce type qui se faisait « Chef », toujours très propre sur lui, rasé de près, une coiffure soignée, bien habillé et qui faisait fondre les filles au détour des rues avec son beau sourire blanc et charmeur. Il y avait aussi Armando, le petit nerveux, stéréotype même du Latino qu'on voit dans les jeux vidéos et dans les séries américaines. Tout le monde l'appelle « le Joe Dalton mexicain ». Puis il y avait cette fille, grande et élancée, brune qui, sous ses airs de femme fatale, aurait pu être une candidate parfaite en tant que Miss Mexique. Elle avait un regard perçant qui me transcendait et qui, à chaque fois un peu plus m'obsédait. Elle avait ce pouvoir sur moi que personne ne comprenait, pas même moi. Jamais une femme ne m'avait attirée auparavant. Sa voix était à la fois douce et ferme, posée, suave. Elle avait su me séduire à l'aide de ce charme naturel qui l'habite et par sa prestance. Je me perdais dans son regard et buvait ses paroles comme on boit un verre de Chardonnay. Elle me donnait à la fois de la tendresse et cette sécurité dès lors que ses bras m'entouraient. Jamais je n'aurai imaginé que ce n'était qu'une façade cartonnée de sa véritable identité.
Lucia et Chef étaient frères et sœurs. Orphelins très jeunes, ils durent se débrouiller par leurs propres moyens pour survivre au sein du ghetto qui les abritaient. Ils n'étaient pas seuls à être sans famille dans ce bloc. Ils formèrent alors cette bande, avec Armando et deux autres individus qui furent tués il y a quelques mois. Ils ne sont plus que trois. Parfois, Lucia me disait qu'Armando serait le prochain, si ce n'était pas elle ou son frère. Son visage se fermait à chaque fois et son regard habituellement illuminé venait mourir dans une noirceur apeurée que je ne lui connaissait pas. Elle me demandait de voyager avec elle à Milan, Paris, Madrid, Moscou, Budapest, Vancouver, Sydney et tant d'autres villes. Ensemble, nous avons fait le tour du monde, toujours avec de nouvelles identités pour braver la monotonie, comme elle disait. Elle parlait tellement de langues que j'en restais à chaque fois émerveillée. J'étais pourtant loin de la réalité. Lucia, Joe Dalton et Chef étaient des narcotrafiquants, et malgré moi, j'ai aimé la plus dangereuse du groupe.
J'ai été inculpée pour complicité au sein d'une organisation criminelle, aux côtés de Carlos et Armando. Lucia, elle, est tombée sous les balles des forces armées mexicaines. En la voyant inerte sur le sol, j'ai cru qu'on arrachait une partie de moi. Mon âme était mortifiée, mon cœur piétiné. Je venais caresser ses longs cheveux d’ébène une dernière fois, et fermais ses yeux de mes doigts tremblants, lui disant ces mots qu'on se disait quand nous n'étions que deux. Nous étions Bonnie and Clyde et nous nous aimions d'une passion dévorante. Je me retrouvais sans ma Clyde, qui semblait presque heureuse que son destin s'arrête ainsi, son petit sourire au coin des lèvres. Les hommes armés venaient alors me cueillir sur sa dépouille, afin de me menotter et me jeter dans leur véhicule, qui était ma première cellule.
J'ai aimé une narcotrafiquante, et enfin, je me suis recueillie sur sa tombe pour la dernière fois, avant de quitter le Mexique pour Bali. J'avais dix-neuf ans, j'en ai aujourd'hui vingt-quatre. Ma vie a basculé depuis ce jour funeste, et depuis cette fameuse journée, je me sens incapable d'aimer une autre personne que ma Lucia. Elle était mon premier amour, ma seule faiblesse et à la fois, mon unique force d'avancer. La prison, j'ai pu en sortir rapidement, clamant mon innocence et le fait que je ne savais rien. Joe Dalton et Chef ont couvert mes dires, m'ayant prise sous leurs ailes d'anges diaboliques, voulant me voir dehors et préférant voir leurs sorts dignes des plus grands, tels Pablo Escobar, finir en héros.
Avant de quitter le Mexique, je me suis rendue sur la tombe de mon aimée, pour lui dire que jamais je ne l'oublierai, mais que je partais pour New-York. C'était il y a huit ans, et j'ai réussi à refaire ma vie, des barrières autour de moi concernant les sentiments et les relations amoureuses. J'ai eu plusieurs Visa pour rester, puis j'ai réussi à avoir ma naturalisation américaine comme tout le monde. Ne sachant que faire de ma vie depuis ces huit années, j'ai enchaîné les petits boulots de vendeuse, serveuse, barmaid et j'en passe. Histoire de me rappeler ce que c'était, d'avoir une vie normale.