Dimanche, il est dix heure trente quand mon téléphone sonne et me tire de mon sommeil. Je vois le numéro du bureau s'afficher. Je n'ai pas forcément envie de décrocher en sachant que nous sommes dimanche et que je suis donc en week end mais je me dis que si on m'appelle, c'est que cela doit être important. Je tente de me réveiller assez rapidement et d'adopter une voix des plus naturelles pour décrocher. Quelques minutes plus tard je saute du lit pour me rendre au bureau. Je n'ai pas tout compris à part quelques mots : gros dossiers, très important, très urgent, ça ne peut pas attendre. Je traine légèrement des pieds mais je me dis qu'il ne faut pas que je passe à côté de cette opportunité, que c'est surement ce genre de cas qui feront ma réputation en plus de mes défenses et plaidoiries. Quelques minutes plus tard, je suis en route vers le bureau, maquillée, habillée, les cheveux tirés pour ne pas avoir à les coiffer, on ne dirait presque pas que je n'ai dormi que deux ou trois heures. J'arrive dans nos locaux et me dirige en salle de réunion. Le patron n'est pas seul, une autre personne est là aussi, je ne le connais pas. Si du dimanche matin il me colle un stagiaire dans les pattes je ne suis pas sûre d'être de très bonne humeur. Je frappe et entre, mon boss me salue et me donne quelques explications puis il prétexte un repas de famille et s'éclipse assez vite. Génial, et si j'avais des enfants, ou moi aussi un repas de famille ? C'est loupé. Loupé, aussi loupé que le battement de cœur que vient de louper mon cœur en voyant la personne en face de moi, l'avocat d'un autre cabinet avec qui je dois collaborer sur le dossier d'une grande entreprise. Je le connais, plutôt bien même, je ne sais pas si lui m'a reconnu, je ne sais pas non plus si c'est vraiment lui, ou peut être un sosie, bref. Je suis le rouge monter à mes joues, j'ai chaud d'un coup, je m'avance et je lui tends la main : « Bonjour, Jilly Carlton. » J'hésite mais finalement je le fais, je rajoute : « On se connait non ? Monsieur Lewis ? Jayden Lewis ? »

Serais-je tranquille un jour ? Telle était la question. Ces derniers temps j’étais sans arrêt inondé de travail. J’avais l’impression de respirer du droit à longueur de temps tant j’en parlais. Bien-sûr, si j’avais choisi ce métier, c’était avant tout car il me passionnait, mais je n’aurais jamais cru pouvoir autant évolué et avoir autant de boulot. Mais après tout … Tant mieux, cela voulait dire en réalité que j’étais bon dans ce que je faisais non ?
Dimanche matin, 9h, mon téléphone du boulot avait sonné afin de me rappeler que j’avais un rendez-vous très important sur une affaire également importante, d’un homme on ne peut plus riche de New-York. Je savais que cette affaire valait de l’or et que je ne pouvais pas la louper, mais tout de même nous étions dimanche ! Jour du Seigneur voyons. Nous les avocats savions parfaitement qu’il était interdit de travailler le dimanche, l’ironie du sort mes amis. On m’avait sollicité pour travailler en binôme sur cette affaire complexe, aussi, ce n’était pas dans nos locaux que se déroulerait le rendez-vous, mais dans ceux de collaborateurs. Nous savions pertinemment que nos relations devaient jouer en faveur pour ce genre d’affaires, ainsi nous étions sûrs de mettre toutes les chances de notre côté. J’arrivais à 10h dans ces bureaux non loin des miens, j’étais sorti la veille avec des amis, et la soirée avait été rude, le réveil n’en n’avait été que plus compliqué, mais que voulez-vous, ce sont les aléas du métier après tout. Je pris l’ascenseur qui m’emmena alors au troisième étage du beau building très moderne. Les locaux ressemblaient fortement à ceux où j’exerçais quotidiennement ma fonction, c’était agréable, je n’étais pas déboussolé. Un homme m’accueillit, très sympathique, je le connaissais assez, New-York n’est pas si grand que ça croyez-moi. Il me parla un peu de l’affaire en question, sans trop me donner de détails, tout était écrit dans les dossiers empilés sur la table de réunion. Je n’avais que très peu envie de me pencher dessus, mais je n’avais pas le choix.  Le directeur finit par quitter la salle, chanceux, et laissa place à une jeune femme blonde. Je lui souris poliment, son visage ne m’était bizarrement pas étranger. Elle me tendit sa main afin de se présenter, je tendis également ma main. C’est bizarre … Ce visage me disait réellement quelque chose. Jelly, Jelly … Bon sang où est-ce que j’ai entendu ce prénom ? Où est-ce que j’ai vu ce visage ? Comment tu peux oublier une jolie fille comme ça Jayden, t’es vraiment un imbécile !
Mes pensées furent confirmées lorsque j’entendis mon nom de sa bouche. Mes sourcils se froncèrent alors quelque peu étonné. « Oui, Jayden Lewis, c’est ça … » Ma main était encore dans la sienne, je regardai subitement nos mains avant de la lâcher doucement, mes lèvres se serrèrent l’une contre l’autre, gêné de ne pas me souvenir.«  Je … On se connaît non ? » Je plongeai mes yeux dans les siens, et c’est là, ça ne fit qu’un tour. Je me souvins de tout. Notre été à la plage, notre amour si enfantin, et notre première fois mutuelle. Ma bouche s’ouvrit presque malgré moi. Je me souvins également que je n’avais jamais eu de nouvelles de la jeune femme, que je n’en n’avais finalement jamais prise, bon sang qu’elle honte. Respire, respire.
La jeune femme était-elle rancunière ? Avait-elle encore de bons souvenirs ou avait-elle gardé uniquement en mémoire, le fait que j’avais été un salop ? « Bon sang, merde Jelly, je me souviens, ça fait si longtemps. Comment vas-tu ? » Bon c’était un peu bateau, mais c’était tout ce que j’avais trouvé pour mesurer la température.

Quand j'étais entrée, son visage avait changé, quand je m'étais présentée, ses yeux s'étaient légèrement plissés pour montrer qu'il réfléchissait, et quand j'avais prononcé son prénom et son nom de famille, un air interrogateur s'était clairement affiché sur son visage. Ok, alors en plus de ne pas m'avoir recontacté à la fin de nos vacances, des vacances qu'on avait passé ensemble et durant lesquels on avait fait notre première fois, il ne se souvenait plus de moi. Peut être qu'il avait effacé mon visage de ses pensées à la seconde où il avait mis un pied dans l'avion qui l'avait ramené chez lui. D'ailleurs c'était ici chez lui ? Non parce qu'on n'en avait pas parlé et en plus de cela si chez lui c'était ici, il avait encore moins d'excuse pour ne pas m'avoir donné de nouvelles. C'est un homme, un avocat maintenant en plus, alors je vois mieux à quel genre il peut appartenir. Clichés bonjour, je m'en fiche, j'ai ça dans la tête et autant dire que mon cerveau ne va pas chercher très loin aujourd'hui, d'une parce qu'on est dimanche, de deux parce que je suis sortie hier, de trois parce que j'ai été réveillée par mon patron pour le boulot. Le boulot quoi, comme si les gens devaient tous être à fond dans une société qui n'est pas la leur. J'aime mon métier, mais quand même, je n'ai pas le même salaire que les boss à la fin du mois. M'enfin, comment dire que me retrouver face à Jayden c'était le pompon. « Jilly, avec un i, c'est Jilly. » Qu'il en rajoute une couche en plus. Je déteste qu'on écorche mon prénom, qu'on écorche mon nom, ils sont simples et courts tous les deux alors qu'il fasse un effort. « Si on prend en compte qu'on est dimanche, que j'ai dormi un peu plus de deux heures et que je me retrouve à devoir collaborer avec le mec à qui j'ai fait confiance pour ma première fois, qui ne m'a jamais redonné de nouvelle et qui ne se souvient plus de moi, je crois que je vais plutôt bien. » Au moins, il est dans l'ambiance. Il a beau être tellement sexy que n'importe qui voudrait lui sauter dessus, qu'en temps normal c'est le mec vers qui je serai aller naturellement, ça n'en reste pas moins Jayden.

C’est tout de même fou le malin plaisir que prend la vie à se foutre de nous comme ça. Comme si nous étions des pions que des gens déplaceraient dans le but de nous mettre au pied du mur. Ah ils doivent bien rire là-haut. Mais nous ici, très chers, sachez qu’on rigole un peu moins. Alors voilà, le destin m’avait emmené à me retrouver devant cette ravissante jeune femme, cette ombre de mon passé, aujourd’hui, dimanche matin. Dieu que le monde est petit tout de même, à New-York tout est définitivement possible.
J’avais dix-sept ans lorsque j’avais rencontré Jilly, j’avais tout de suite craqué pour elle. J’étais dans ma phase je me la raconte et je suis supérieur à tout le monde vous voyez ? Celle qui nous laisse penser que l’on est invincible et qui nous propulse vers des sommets inexplorés. Elle était plus jeune que moi, et j’avais su en profiter. Nous étions sortis ensembles tout un été en vacances avec nos familles respectives. Au delà de sa jeunesse j’avais trouvé en Jilly une jeune fille très drôle et sensible, et par dessus tout très belle. Je l’avais voulue, et je l’avais eue. Elle m’avait offert sa toute première fois, une chose importante chez une fille m’a-t-on dit, et je n’avais pas considéré cela comme tel. J’avais fuis quelques jours plus tard, nous nous étions quittés avec des paroles pleines de promesses qui n’avaient au final jamais abouties puisque les amours de vacances ne sont qu’éphémères. Visiblement, le destin avait décidé de me rappeler aujourd’hui que le passé finit toujours par nous rattraper. J’avais écorché son prénom, comme si je n’étais pas suffisamment dans le pétrin. Mais putain Jayden t’es con ou quoi ? J’avais grimacé culpabilisant quelque peu. Mais ce que j’avais fait auparavant était bien plus grave que ce petit incident après tout. Je l’écoutai répondre à ma question test, et celui-ci était sans appel. La jeune femme était en colère, et elle avait d’ailleurs toutes ses raisons. Je baissai la tête en me raclant la gorge, quelque peu honteux de toute cette situation. Je décidai de ne pas me laisser abattre de la sorte, un chat retombe toujours sur ses pattes, et aujourd’hui j’avais décidé d’être un chat. Je tirai la chaise qu’il y’avait devant moi pour m’y asseoir ensuite avant de plonger mon regard dans le sien. « Je me souviens parfaitement de toi, tu n’es pas indulgente, c’était il y’a 12 ans il y’a prescription tout de même. »
Je lâchai un petit soupire. «  Jilly, Je suis désolé de ne pas t’avoir donné de nouvelles, j’ai mal agis mais à 17 ans je ne suis pas sûr qu’on a quoi que se soit dans le crâne. » Je pris garde de ne pas écorcher son prénom bien-sûr. Je regardai la chaise en face de moi comme pour l’inviter à s’y asseoir également, nous serions alors dans de meilleures conditions pour une discussion de cette ampleur. Je lâchai un petit sourire. « Vous êtes devenue une femme splendide mademoiselle Carlton. »  Je n’avais pas oublié son nom de famille, et non, ce n’était pas uniquement parce qu’elle s’était présentée quelques minutes avant. On se rattrape comme on peut que voulez-vous ? Biffurque Jayden, change de conversation bon sang. « J’ignorais que tu aimais le droit. »

« On ne cherche pas des arguments dans un palais de justice là Jayden, oublie la prescription. » Sérieusement il s'amuse à placer des termes juridiques dans une conversation qui n'est pas du tout juridique ? Parce que clairement pour moi on ne parle pas dans le milieu professionnel comme en privé. Je n'ai pas envie qu'il élude la question aussi facilement qu'en scandant la prescription. « Surtout que pour qu'elle soit réduite il faut que la personne soit de bonne foi. » Piquante j'étais, piquante je suis, piquante je resterai. Je n'ai pas changé sur ce point alors que lui, il a surement changé sur ce qu'il a dans le crâne. On ne devient pas avocate sans un minimum de savoir pas vrai ? A moins que ce soit comme dans tous les milieux et que certaines personnes aient leur diplôme dans une pochette surprise. J'hausse donc simplement un sourcil à sa remarque puis je vais m'asseoir sur la chaise qu'il me désigne implicitement, avant de venir s'installer en face de moi. Je fixe mon regard dans le sien, je n'ai aucune peur, je n'ai pas froid aux yeux. Il pensait que j'allais continuer de rougir et m'écraser jusqu'à ce qu'on ne me voit plus sous la table ? C'est raté pour lui, je ne suis pas ce genre de femme effacée, je suis à peu près aussi effacée que je suis indulgente si ça peut lui donner une petite idée. « Vous êtes un avocat plus que troublant physiquement Maître Lewis. » Répondis je à sa petite pique sur mon physique qui voulait tout dire. Il voulait jouer ? Je pouvais rentrer dans le jeu sans souci. Si à l'époque j'avais eu de la peine, aujourd'hui, j'étais bien moins sujette aux problèmes de coeur, la leucémie de mon frère et mon accident grave m'ont appris à m'attacher aux choses réellement importantes : la famille et leur bonne santé. « On s'est connu il y a douze ans, je pense qu'il y a beaucoup de choses que tu ignores de moi Jay... » Je penche la tête sur le côté tout en faisant un petit mouvement d'épaule. N'ai-je pas raison ? A quatorze ans on n'est pas tout à fait soi même et on a la vie devant nous. J'ai évolué, changé, et je suis aujourd'hui la femme que j'ai voulu être au fil des années. « J'espère que tes plaidoiries sont plus tenues que tes promesses sinon notre affaire est perdue d'avance. » Somptueux mélange d'affaire personnelle et de travail.

Décidément, elle n’était plus la jeune femme innocente et insouciante que j’avais connue auparavant. Jilly était devenue une femme sûre d’elle, poignante et pour être honnête j’adorais ça. J’adorais les femmes qui savaient me tenir tête. Sans vouloir me venter,  avec les femmes, j’ai toujours eu ce que je voulais. La plupart du temps, je n’ai pas grand chose à faire, elles viennent à moi. C’est presque lassant à vrai-dire. Alors oui, je passe pour un garçon hautain et un peu sûr de lui, mais ce n’est pas le cas, j’aimerais que les choses soient plus difficiles réellement ! Mais nous vivons à une époque où la galanterie des hommes n’est plus et où c’est les femmes qui sont aguicheuses. Mais nous nous éloignons de l’instant présent. La vérité est que, j’aimais qu’on ne soit pas d’accord avec moi, mais qu’on le soit avec intelligence et pragmatisme, comme le faisait merveilleusement bien Jilly. J’avais presque envie de sourire mais je me retenais. Elle s’assit alors en face, je ne pu m’empêcher d’observer l’évolution féminine dont elle avait bénéficié. Son corps était magnifique, le corps de l’enfant innocente que j’avais pu voir autrefois était bien loin. Mes yeux retrouvèrent les siens assez rapidement, je ne voulais pas passer pour un pervers, ma situation était déjà bien délicate. Nous les hommes, nous savions faire cela discrètement, à force de pratique intensive. Plus que troublant ? Vraiment ? Je souris, satisfait de cette réponse mais surtout flatté que malgré tout, la belle blonde puisse me faire un compliment digne de ce nom. Je sentais Jilly joueuse plus que fâchée pour le coup, et ça me plaisait. J’aimais la tournure que prenait la situation. « Beaucoup de choses que j’aimerais ne plus ignorer maintenant que tu es là devant moi. » dis-je pour rattraper ses mots. Mais c’était la vérité, savoir ce qu’elle était devenue, par quelle phase elle était passée m’intéressait réellement.  Elle me lança un pique, décidément, le jeu était lancé. Je lâchai un petit rire, car oui malgré la critique était drôle. Il valait mieux en rire. Après tout ce temps. « Mes plaidoiries, madame, sont certainement à la hauteur des vôtres, sinon nous ne serions pas dans cette même salle aujourd’hui. » Mon dos se laissa aller dans le dossier de ma chaise sans pour autant quitter les yeux de Jilly, j’étais satisfait de ma réponse puisqu’elle était aussi piquante que la sienne, et c’était ce que je cherchais. Nous avions tant changés, qui l’eût cru, nous étions devenus des avocats, chargés tous les deux d’une affaire très complexe, qui allait certainement nous faire grimper tout en haut de l’échelle, mais par dessus tout, nous étions tous les deux devenus des adultes, élégants et sûrs de nous, c’était gratifiant et il était agréable de remarquer cette évolution.
Mon regard se posa sur ton décolleté, presque malgré moi. Un bouton de son élégante chemise blanche était défait et laissait apparaître la fine dentelle du soutien gorge de la même couleur. Je me penchai doucement en avant pour me rapprocher d’elle et lui chuchoter. « Maître Carlton, tenteriez-vous de me distraire pour que je sois incompétent ? » Je regardai sa chemise afin de lui montrer de quoi je parlais. Un sourire presque moqueur s’afficha alors sur mes lèvres. La situation était amusante, ce n’était pas malsain du tout. De plus, j’avais déjà vu Jilly nue, il y’a longtemps certes, mais elle n’était pas une inconnue, malgré le temps.

Il ne voulait plus ignorer ce qui se cachait derrière une plastique dont je n'étais pas peu fière ? C'était la première nouvelle de la journée. Finalement, il avait surement changé sur un point essentiel dans la relation qui nous liait depuis des années : maintenant il assume ce qu'il pense et ne fuit plus devant la situation. Après, reste à savoir s'il sait donner suite à ses paroles, puisque c'est un point qui pêche chez lui. Quand je l'écoute, je me laisse aller contre le dossier de la chaise, croisant les bras sur ma poitrine tout en continuant de le fixer, de détailler chaque mimiques de son visage, chaque expression qu'il laisse aller. C'est troublant de se retrouver face à l'homme à qui on a offert sa virginité douze ans plus tôt, surement un peu trop jeune, mais pour qui on a eu naïvement des sentiments en oubliant que lui avait dix-sept ans et était dans la fleur de l'âge de la connerie. « Tu es très sûr de toi. » Il est sûr de lui sur ses compétences mais aussi sur les miennes. C'est flatteur qu'il ne doute pas de moi, mais peut être qu'il ne sait pas que je n'ai commencé à pratiquer que depuis le mois de septembre à cause d'un accident de voiture qui a failli me coûter la vie. « Mon patron, avec qui tu étais en grande discussion avant mon arrivée, t'as dit que je suis en exercice depuis septembre uniquement ? » Cela ne m'a pas empêché de gagner tous mes procès à l'exception d'un pour le moment, mais quand même, je sais reconnaitre là où l'expérience me manque, et je pense que dans cette affaire, c'est lui qui va nous porter alors que moi je saurais apporter mon esprit affuté, mes arguments et la mélodie des mots qui savent aller là où il faut dans le coeur et la tête des juges, parce que très clairement, on ne nous demande pas la vérité, juste de savoir appuyer au bon endroit. Et en parlant de bon endroit il y en a un qui ne regarde surement pas où il le devrait. En appuyant mes bras croisés sur ma poitrine, ce geste a écarté mon chemisier dont un bouton était défait mais qui ne permettait pas de voir quoi que ce soit dans une position normale. Je me redresse donc avant de me pencher sur la table, tout en restant assise, et déposant les coudes sur le bureau pour lui dire : « Est ce que vous croyez que je me permettrais d'aller regarder sous la table si votre braguette est ouverte cher Maître ? » Aucune vulgarité dans mes paroles, je ne compte pas faire ce genre de chose, les promotions canapé ce n'est pas mon genre et encore moins de ce genre de situation. Mais là, c'est amusant, je me joue de lui, par mes phrases mais aussi mes postures, puisqu'il en va s'en dire que la vue sur ma poitrine est assez plongeante dans cette position sans pour autant trop en dévoiler.

Elle avait raison, j’étais très sûr de moi. Je l’avais toujours plus ou moins été, c’était à mon sens essentiel pour que quiconque nous prenne au sérieux. J’avais appris à l’être d’avantage avec le temps. C’était quelque chose d’essentiel pour nous les avocats. Sinon comment pourrait-on nous croire ? Comment pourrait-on réussir à convaincre qui que se soit ? L’hésitation est à bannir totalement de notre façon d’être. Notre métier était parfois fourbe. Dans ce métier, vous pouvez être amené à défendre des innocents, mais aussi des coupables, des personnes qui ont tout contre eux, mais qu’il faut quand même appuyer puisque c’est notre job. Ce n’était pas de tout repos, bien souvent, dire la vérité n’était pas suffisant, nous devions simplement viser juste et exploiter n’importe quel argument, c’était un art. Un art pour lequel je m’étais passionné depuis toujours grâce à mon père que j’avais toujours admiré.
« Non, ton patron, que je connais très bien, ne m’a rien dit. Je pense d’ailleurs qu’il a de grands espoirs pour toi. » Je ne faisais que répéter ce que m’avait dit cet homme. Il était quelqu’un qui avait du métier et que j’admirais personnellement, il avait fait beaucoup de route en matière de juridiction, et je savais qu’il ne m’emmenait pas n’importe qui pour travailler. Je souris, espérant que cette déclaration lui ferait plaisir. Oui, j’avais un bon fond, il ne faut pas croire ce que l’on voit ! Je fronçai les sourcils, interrogateur. «  Pourquoi n’as-tu commencé que maintenant ? » Il est vrai que c’était étrange lorsque l’on regardait les dates. C’était un peu tardif pour commencer.

J’avais en face de moi, une très belle vue. Il fallait dire ce qui était, Jilly était une très belle femme. Elle devait en faire tourner des têtes. Mais elle n’avait pas que ça, elle était très charismatique, attirante. On avait envie d’en savoir plus, une part de mystère planait autour d’elle, c’était presque déroutant. Je n’avais pas envie que ce rendez-vous s’arrête, je voulais en apprendre plus sur elle, bizarrement. Cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas intéressé réellement à une femme. Le petit jeu qui venait de s’installer entre moi et la belle blonde m’amusait beaucoup. Elle se pencha alors en avant, ce qui me permis d’avoir une vue un peu plus intéressante. Je souris, ne quittant pas ses yeux, je ne voulais pas faiblir, pas devant elle. J’étais un homme, mais pas un homme bête, ce petit manège ne fonctionnerait pas. Même si la tentation était rude. J’étais toujours penché un peu plus sur la table, elle avait donc fait de même. « Vous permettre non, en avoir envie je l’ignore Maître. » Je souris, très provoquant comme réponse, je le savais. Je me jouais simplement d’elle. La jeune femme provoquait en moi une espèce d’excitation, elle m’intriguait réellement, elle était totalement le type de femme qui m’attirait, elle avait ce truc que j’aimais, et qui était rare. J’adorais qu’on m’appelle Maître. N’y voyez pas une espèce de fétichisme à la domination, seulement c’était gratifiant réellement. Je laissai aller mon dos contre le dossier de la chaise à nouveau. « Plus sérieusement, crois-tu qu’il y’aurait un moyen pour que je me fasse pardonner mes erreurs du passé ? » J’étais sérieux. Je sais que de l’eau avait coulé sous les ponts depuis tout ça, mais je n’aimais pas laisser une mauvaise impression. Je savais que je m’y prenais un peu tard, mais comme on dit, il vaut mieux tard que jamais.

La fierté n'est pas moindre à l'intérieur de moi quand il me dit qu'il semblerait que mon patron ait grand espoir en moi. S'il voit aussi loin pour moi, c'est surement que je peux me permettre d'en faire de même. Peut être que mes qualités et mes capacités sont en fait à la hauteur de mes ambitions, de mes désirs. Oui enfin quand même, il n'est que très incertain que je prenne un jour la tête de ce pays, mais devenir une grande avocate redoutée, ça n'a pas l'air impossible à l'entendre, même si je n'ai que quatre mois d'expérience et aucune réputation pour le moment. Peut être me connait il mieux qu'il ne le croit et que je ne veux bien lui laisser croire en fait. S'il n'a pas oublié ma détermination pour arriver là où je veux aller, alors il a cerné l'essentiel de ma personnalité. « Pourquoi est ce que tu poses tant de question ? » Je passe ma main dans mes cheveux pour les remettre en place, officieusement, je la passe dedans pour me détendre un peu, comme si ça avait un effet magique, mais non, c'est juste nerveux. Je n'aime pas vraiment parler de mon accident en fait. « J'ai eu un accident le soir après avoir eu mon diplôme et après avoir su que j'étais embauchée ici, on va dire qu'entre le coma et la rééducation qu'il s'en est suivi, je n'ai pas pu commencer avant. » Je prends le stylo posé sur le bureau non loin de moi et commence à appuyer à de nombreuses reprises sur le petit bouton poussoir se trouvant en haut qui permet de faire sortir la mine. C'est ma manière de me déstresser légèrement, ou plutôt de me concentrer sur quelque chose d'autre que son regard perçant, un regard qui détaille chaque trait de mon visage, chacune de mes expressions. Mon sérieux laisse place à un petit rire quand il me dit qu'il ne sait pas si je pourrais avoir envie de regarder à hauteur de sa braguette. Je lève les yeux au ciel. « Vous ne manquez pas d'air très cher ! » Cette conversation n'a vraiment rien de formel et surtout rien de professionnel. Je ne suis pas sûre qu'en sortant de ce bureau j'en saurais plus sur l'affaire censée nous réunir, celle qui fait que nous nous sommes rencontrés ici en ce dimanche de bon matin. Je me lève pour aller jusqu'à la fontaine d'eau et me servir. Quand je vais pour me retourner vers le grand bureau autour duquel nous étions encore quelques minutes plus tôt, le jeune avocat s'est levé pour se placer juste derrière moi. En me retournant, la distance entre nous est assez faible et des plus troublantes, sa question l'est encore plus. « Je n'en sais rien. Essaye et tu verras... Et je... voulais simplement te demander si tu voulais un verre d'eau. » Lui dis-je alors que mon regard passait de ses yeux à sa bouche pour s'attarder sur ses lèvres attirantes certes, mais il ne viendra pas de moi de faire un pas dans la même erreur d'il y a douze ans.

Je pose autant de questions parce que tu m’intéresses Jilly. La réponse de la jeune femme me scotcha. Un accident ? Bon sang c’était horrible. Je me rendis compte que j’ignorais tant d’elle à cet instant précis. Nous nous étions rencontrés bien des années en arrière, nous étions des gamins innocents, aujourd’hui de l’eau avait coulé sous les ponts, tant de choses avaient dû se passer et j’ignorais tout. Cela ne serait peut-être le cas si j’avais daigné lui donner des nouvelles, sans doute que les choses se seraient déroulées autrement, ou pas, qui sait ? Le problème étant qu’on ne refait pas le monde avec des « si », sinon quand prendrions-nous le temps de réellement vivre ?
Elle sembla un peu dérangée par cet aveux, je baissai la tête, silencieux. Je ne voulais pas la gêner, ou du moins pas de cette manière. « Je suis désolé Jilly, j’ignorais tout ça. »

Mes lèvres se serrèrent l’une contre l’autre, ne sachant pas réellement quoi dire, je ne voulais pas être intrusif, je ne voulais pas poursuivre, je voulais que ce rendez-vous se déroule bien, ressasser le passé n’y contribuerait pas.
Je l’entendis rire, ce qui me fis sourire automatiquement et secouai la tête, non en effet je ne manquais pas d’air. Mais c’était peut-être ce qui faisait mon charme après tout ? Jilly se leva ensuite pour se rendre à la fontaine d’eau, je ne pu m’empêcher de regarder ses jolies courbes féminines. Je me levai également presque sans bruit pour la suivre et me pointer derrière elle, sans but précis, juste comme ça, j’en avais envie. Aussi, lorsqu’elle se retourna munie de son verre d’eau, nous étions proches, très proches. J’observai son beau visage, et ses yeux dangereux de par leur beauté.  Elle répondit à ma question par la même occasion. Elle n’en savait rien, et à vrai-dire moi non plus. Comment pourrais-je faire en sorte qu’elle oublie tout ça ? Qu’elle ne m’en veuille plus ? Mes yeux se posèrent sur ses lèvres pulpeuses, et puis sur ses yeux, et encore sur ses lèvres. J’en avais très envie il fallait l’avouer, c’était très tentant, nous étions si proches. La jeune femme m’aurait certainement envoyé promener, sans nul doute. Je pris doucement sa main dans la mienne, sans quitter son regard. « Je ne t’ai oubliée Jilly. » Comment aurais-je pu oublier ce visage angélique ? Je me rendais compte à cet instant précis. Cette proximité me rappelait le moment que nous avions passés tous les deux. « Je sais qu’il est sans doute trop tard pour te demander pardon aujourd’hui. Mais permet-moi de me racheter. » Un petit sourire s’afficha sur mes lèvres, nous étions toujours aussi proches. « Je voudrais t’inviter à dîner. » Je me penchai pour pouvoir lui chuchoter à l’oreille. « Tu n’as pas le choix. » Je lâchai doucement sa main que je tenais toujours. « Mais pour l’heure je crois que nous avons du travail Maître Carlton. » Je m’éloignai un peu d’elle pour regagner le bureau où nous étions censés travailler.

« Je sais. » Il n'a pas été présent dans ma vie depuis le jour où nous avons tous les deux décollés de l'Italie après des vacances merveilleuses. Comment est ce qu'il pourrait savoir que j'ai eu un accident en début d'année qui a failli me couter la vie ? Comment est ce qu'il pourrait savoir que j'ai dû réapprendre à marcher, à me booster, à reprendre une vie normale alors qu'il ne sait même pas quelle femme je suis devenue ? Est ce qu'il pourrait savoir que mon frère a eu une leucémie et que je lui ai sauvé la vie en lui donnant ma moelle ? Non plus. Alors en effet il s'en est passé des choses dans ma vie, et des biens plus graves que l'absence de nouvelle dont il a fait preuve, mais quand même, j'ai la rancune tenace, et je dois avouer que j'aime être rancunière envers lui, j'aime le voir avoir envie de se racheter. Enfin j'aimais cela avant qu'il se rapproche de moi, qu'il me surprenne lorsque je me retourne, que mes yeux s'attardent sur ses lèvres que j'ai embrassé autrefois et qui sont aujourd'hui, toujours aussi attirante. C'est troublant, la situation l'est, mais lui l'est encore plus. Comme dans le passé. Je retiens mon souffle quand je l'entends parler quand je l'entends me dire qu'il ne m'a pas oublié, qu'il veut se racheter, quand il me prend la main. A quoi joue t'il ? Est ce qu'il joue même. Je ne sais pas, avec lui je ne sais rien, je ne contrôle rien, c'est ce qui me dérange le plus. Ma respiration est toujours retenue, et il finit par me lâcher la main et s'éloigner du coup je cesse mon apnée, je garde mon verre à la main, dépose le sien sur le bureau et je retourne m'asseoir en face de lui pour travailler, ne répondant pas à tout ce qu'il m'a dit. « Travaillons oui... Enfin explique moi le dossier, dis moi comment tu veux procéder et pour le rester on verra plus tard parce que je n'ai pas oublié qu'on est dimanche. » Et même si je n'ai rien à faire après, je n'ai pas envie de passer mon jour de repos au bureau. « Oui. » Je lâche un oui comme ça. Si il y avait eu du bruit autour de nous, il se serait surement perdu dedans, mais là ce n'est pas le cas. « C'est oui pour le dîner. » Je ne sais pas pourquoi je précise, si je ne l'avais pas fait, peut être que j'aurais pu revenir sur mon choix en faisant une pirouette autour de mon petit oui. Mais non, à croire qu'il me fait toujours cet effet non contrôlé et que je n'ai même pas contrôlé la positivité de ma réponse.