Tout n'a toujours été qu'à propos de ça. Il est de ses femmes qui ne peuvent pas vivre seule, il est de ces femmes qui ont besoin d'un 'il' pour continuer à avancer. C'était le cas de ma mère. Toujours un homme à la maison, constamment. Trois hommes différents avant de tomber sur le bon, sur celui qui la supporterais elle et ses caprices. Mon père n'est qu'un lointain souvenir, un homme jamais vu, jamais connu, dont tout le monde se moque bien, à vrai dire. Ce nom de famille, c'est celui de ma mère, et j'y tiens. J'y tiens, il reflète sa force, son charisme, sa folie aussi, un peu, mais c'est comme ça qu'on l'aime.
J'ai jamais eu à me plaindre, concernant les garçons. A vrai dire, je suis plutôt réservée, et en plus de ça j'étais le bon pote. J'ai toujours été rien d'autre que le bon pote, celui qui joue à la console -non pas que j'aime, mais dans un monde de garçon, on s'adapte comme on peut-, celui qui fait du skate avec les autres, avec qui on fait des concours parfois bizarres -et je m'arrêterais ici sur ce point-, celle qui est la voix du groupe de musique qu'on vient de monter, mais je n'ai jamais été la fille avec laquelle on tentait une histoire d'amour. Jamais. Celle avec qui on voulait couché, parfois peut-être mais ça ne m’intéressait jamais, j'veux dire, je mérite plus, j'ai besoin de plus. Moi, ce que je voulais, c'était un vrai copain, de la tendresse, des histoires de couple parfois jolie et parfois un peu moins, que ce genre de truc. Sauf qu'à traîner avec des garçons, j'ai eu cette drôle de réputation qui est rapidement venue avec moi, j'ai eu la réputation de la fille facile, celle qui passait de chambre en chambre. J'avais beau dire que non et que si j'allais chez eux ce n'était que pour jouer, j'avais le droit à des moqueries, constamment. J'étais uniquement la fille qu'un groupe de pote se fait passer, et quand ce n'était pas celui là mon rôle, j'endossais celui du mec sans pénis de la bande. Soit j'étais la lesbienne, soit j'étais celle qui couchait partout. Qui veut de ça ? Personne. Oh si, une fois j'me suis faite draguée par une fille. Sauf que je ne mange pas de ce pain.
J'ai tenu ça pendant mes années collèges, et puis arrive le lycée, je découvre doucement le maquillage, les vêtements de fille et ce genre de chose. Sauf que ceux du collège se retrouvent au lycée, même cercle vicieux.
Il y a eu cet intervenant, une fois. Classe de littérature, il était là pour six mois, et accessoirement il était le voisin d'Ed, l'un des gars du groupe. J'allais le plus de fois chez lui pour voir ce fameux intervenant, puis un jour on a parlé, il m'a invité à entrer et ça s'est juste fait. On a parlé, on avait que des points communs, comme si tout nous destinait à se voir, tout nous destinait à être ensemble, maintenant. J'avais seize ans et il en avait vingt-sept mais je me moquais du chiffre qui le définissait en temps que personne, je ne voyais que lui. Il a été ma première fois, et pendant les six mois pendant lesquels il était là, nous avons fait que nous voir. Coucher ensemble, principalement, mais ça marchait plutôt bien pour moi.
Quand il est parti, j'étais inconsolable. Il retournait dans le sud de l'Angleterre et j'étais bloquée en Irlande, j'ai pleuré, j'ai eu du mal à m'en remettre, et comme si ce n'était pas assez, il ne répondait plus ni aux appels, ni aux messages, ni au mails. Abandonnée, purement.
Le soucis c'est qu'après ça, les garçons de mon âge ne m'ont plus du tout intéressé. Je tapais toujours dans du plus vieux. Je me suis ainsi rapproché du père d'Ed, qui divorçait de sa mère. Je pensais à une histoire, une réelle histoire, jusqu'à ce qu'il me dise que je n'étais qu'un passage, qu'une crise de la quarantaine, que j'avais l'âge d'être sa fille et que c'était malsain. Après huit mois. Huit mois. Huit mois à coucher avec moi pour se rendre compte que c'est malsain. Génial.
Après lui, ça a été le manager du disquaire dans lequel je bossais, pendant quelques mois aussi, avant de me dire qu'il ne pouvait pas se montrer avec moi. C'était une petite ville, il allait forcément perdre des clients de savoir qu'il couchait avec moi. Il a vraiment dis ça. Il n'a pas parlé de ça comme une relation comme ce que je pensais, mais comme un simple plan cul.
Alors j'en fais des chansons, guitares, piano, j'écris ce que je peux, sur ce que je vois, ce que je découvre et surtout ceux que je découvre. Il m'arrive d'écrire les histoires des autres, de les chanter à des anniversaires, dans des bars, avec le groupe. Puis on s'est tous dispatché, l'un veut être chirurgien, l'autre professeur et puis le dernier se lancerait bien dans le commerce, plus de temps à perdre avec des conneries de lycéen, alors ils ont abandonnés. Tous, tous sauf Ed, encore à mes côtés.
New-York c'est la ville idéal, c'est le rêve de n'importe qui, de tout le monde, alors nous voilà ici, la grosse pomme. Et puis, si ça marche pas, on retournera en Irlande finir nos jours comme ils ont commencés.