Mes doigts se nouent comme par magie, non la magie ça n’existe pas, disons que c’est le stress qui commence à envahir mon corps petit à petit. Je remets une mèche de cheveux blonds derrière mon oreille alors qu’une secrétaire me sourit faussement. Me raclant la gorge, je tente de faire comme si de rien n’était en posant mon regard sur les tableaux hideux qui sont censés représenter des… paysages ? Qu’est-ce qu’ils ont tous les psys avec cette manie de peindre alors qu’ils n’ont pas de talent ? En parlant de psy… Le mien vient tout juste de sortir de son bureau et je sens déjà l’angoisse nouer mon ventre. Une poignée de main et me voilà quelques minutes plus tard assise sur sa banquette à regarder d’autres tableaux signés de sa main, décidément. Il me dit alors de m’installer et je m’exécute, m’allongeant sur son divan moelleux quoiqu'un peu glissant. « Je vous écoute mademoiselle Sullivan, parlez-moi de vous, videz votre sac, en quelque sorte. » Je fronce les sourcils, vider mon sac, tout simplement ? Qu’est-ce que je peux bien répondre à ça et surtout, par quoi commencer ? J’avale ma salive avec difficulté et entre mes lèvres, sans dire quoi que ce soit. Je laisse une minute s’écouler sous son regard accusateur, puis je décide de me lancer. « Eh bien je suis née à Phoenix, du moins c’est ce que je crois. En fait ma mère, enfin ma mère biologique, m’a apparemment abandonnée dans une poubelle, classe, je sais. J’ai été adopté quelques semaines après ma naissance par un couple charmant qui sont en fait mes parents. Ils sont gentils, attentionnés, je n’ai jamais manqué de rien et je suis restée leur unique fille. Comme démarrage dans la vie, on a connu pire, genre l’épisode de la poubelle. Dois-je rappeler que je suis née au mois de décembre ? J’aurais pu mourir cette nuit-là si une prostituée ne m’avait pas trouvé. Ah vous n’étiez pas au courant ? Elle était ivre en plus de ça et a voulu m’adopter, on m’a en fait retrouvé dans un squat quelques jours plus tard et là, vous connaissez le processus, directement donné à un foyer de jeunes enfants… » Je vois un des sourcils touffus du psy se lever et son crayon gratter la feuille de papier. Voyant que je m’arrête, il replonge son regard dans le mien, m’incitant à continuer. « Bref, une enfance heureuse, y a juste quelques détails qui ne me ravissent pas. Je ne suis pas douée, j’ai un caractère de merde, aucun talent. Je suis brillante dans mes études mais la tête en l’air, du genre naïve. Je fais tomber tout ce que j’ai entre les mains et avec les garçons… oh avec les garçons… c’est une très longue histoire. Je suis nulle avec eux, la bonne copine pas intéressante du tout jusqu’au jour où… un certain garçon s’est intéressé à moi, d’un peu trop près à mon goût. Il était gentil, adorable mais voyant que je ne voulais pas aller plus loin parce que j’étais trop prude et bien il a décidé de sauter le pas, tout seul, et moi qui rêve d'avoir des enfants avec un prince charmant encore aujourd'hui... » Je viens tout juste de parler de mon viol survenu alors que j’étais au début de mes études et… je ne ressentais rien, pas de peine, pas de colère, pour une fille comme moi, c’était étrange. « Je me suis remise difficilement de cet épisode, à vrai dire je ne m’en suis pas remise du tout, mais j’ai continué à avancer, ne réfléchissant pas vraiment à ce qui allait se passer dans le futur. Je n’ai jamais rien dit, j’ai toujours fait comme s’il ne s’était rien passé, comme si j’avais été une fille facile ivre ce jour-là. Et puis j’ai terminé mes études et j’ai décidé de déménager à New York. Actuellement ma vie n’est pas vraiment meilleure puisque j’ai un boulot de merde. Je suis serveuse dans un bar du coin, malheureusement avec ma maladresse je ne sers pas grand-chose, les boissons finissent souvent par terre. Pour pouvoir payer mon crédit d’étude et mon appartement vraiment miteux ainsi que les croquettes de mon chat, je fais du téléphone rose en rentrant chez moi le soir. Vous savez, des fois on tombe vraiment sur des types étranges, glauques même. » Je me détends de plus en plus, m’amusant telle une gamine riant devant un dessin animé et jouant avec une mèche de cheveux. « Ça ne paye pas très bien mais c’est toujours ça de prix. Je suis une célibataire endurcie qui vit avec son chat, le type typique de fille qui finira vieille fille justement. Oh vous savez la meilleure dans tout ça ? J’ai succombé une fois, juste une seule fois à la tentation de la chaire après avoir noyé mes soucis dans l’alcool et j’ai couché avec un inconnu, oui moi la sainte nitouche j’ai fait ça. Et le comble ? Je crois que je suis enceinte, c’est juste fou hein ? » Je me relève du divan et regarde mon psy, toujours stoïque. Je me mets à rire à gorge déployée, encore et encore sans m’arrêter. Je sens des sueurs froides me faire tressaillir, je sens soudainement une sensation étrange et désagréable mais je continue à rire jusqu'à… jusqu'à me réveille en sursaut dans mon lit, seule et dans le noir. Je passe une main dans mes cheveux. Tout ceci n’était qu’un rêve, un putain de cauchemar. Je fixe le mur froid devant moi puis mon chat qui ne comprend pas vraiment ce qui se passe. Je me mets à faire une moue en ramenant mes genoux contre ma poitrine. « Mon dieu... j’ai vraiment une vie de merde… »